/  31 décembre 2021

Planification successorale pour les familles recomposées – Conjoints mariés

Dans le dernier numéro, nous avons présenté une étude de cas d’une famille recomposée : Lucie (42 ans), omnipraticienne, et Nicolas (45 ans), ingénieur, se sont rencontrés il y a sept ans. Lucie a deux enfants mineurs qu’elle a eus avec son ex-conjoint. Nicolas a un fils (Antoine 12 ans) issu de son union précédente avec Sophie. Lucie et Nicolas habitent ensemble dans une maison acquise conjointement il y a cinq ans. Aucun d’eux n’a un testament. Nicolas est récemment décédé à la suite d’un accident.

Nous avons analysé les répercussions de ce décès prématuré sur les proches de Nicolas, en supposant que les conjoints vivaient en union de fait. Posons maintenant l’hypothèse que Lucie et Nicolas étaient mariés. La situation serait-elle différente ?

Le patrimoine familial

En se mariant, Lucie et Nicolas sont devenus automatiquement assujettis au patrimoine familial. Ce régime légal et obligatoire prévoit le partage moitié-moitié entre les époux de la valeur nette de certains actifs, en cas de divorce, de séparation de corps ou de décès. Les principaux biens visés sont les résidences d’habitation (incluant les résidences secondaires), les REER, les FERR, les régimes de pension, les RRQ, les véhicules automobiles et le mobilier. Les biens assujettis sont principalement ceux acquis après la célébration du mariage, sous réserve de plusieurs exceptions et particularités.

Ce régime de partage est extrêmement complexe. À noter qu’au décès, les RRQ sont exclus du partage. Est également exclu du partage le régime de pension du conjoint décédé, en raison de la priorité de l’époux survivant à l’égard de celui-ci.

Entre le 1er juillet 1989 et le 31 décembre 1990, les époux qui s’étaient mariés avant cette période pouvaient choisir de ne pas être assujettis au patrimoine familial. Ce choix commun devait être fait par acte notarié.

 

Le contrat de mariage et le régime matrimonial

En l’absence d’un contrat de mariage, les époux seront également assujettis au régime matrimonial de la société d’acquêts. Il s’agit d’un régime prévoyant un partage moitié-moitié, entre les époux, de la valeur nette des biens non assujettis au patrimoine familial, notamment les comptes bancaires, les CELI, les REEE, les placements non enregistrés, les immeubles locatifs, les terrains vacants, les actions de sociétés privées (comme les sociétés constituées pour l’exercice de la profession médicale), les entreprises non incorporées, les entreprises constituées en société de personnes ou en partage de dépenses (comme les regroupements de médecins qui exploitent une clinique médicale) et certaines polices d’assurance vie. Les biens

assujettis sont principalement ceux acquis après la célébration du mariage, sous réserve de plusieurs exceptions et particularités. Également très complexe, ce régime de partage diffère nettement du patrimoine familial quant à sa mécanique de calcul.

L’inclusion de la valeur d’une société par actions dans le partage de la société d’acquêts se complique lorsque les actions participantes sont détenues par une fiducie familiale et qu’elles ont été émises après la célébration du mariage. Par ailleurs, la détermination de la valeur partageable d’une société par actions (surtout après impôt) est souvent problématique.

Dans un contrat de mariage, les époux peuvent choisir de ne pas être assujettis à la société d’acquêts. Dans ce cas, ils optent alors pour le régime matrimonial de la séparation de biens.

Les donations à cause de mort

Le contrat de mariage peut également comporter une clause prévoyant qu’au premier décès, tous les biens de l’époux décédé seront transmis à l’époux survivant. Il s’agit en quelque sorte de testaments réciproques conclus par contrat. Désignée « donation à cause de mort », cette libéralité peut être révoquée par un testament rédigé postérieurement, à moins que le contrat de mariage précise qu’elle est irrévocable, ce qui est très rare.

De telles donations à cause de mort réciproques sont géné-ralement peu utilisées dans le cas des familles recomposées, chaque époux préférant plutôt faire un testament afin de léguer la majorité de ses biens à ses propres enfants.

Puisque le prix d’achat de la maison était de 500 000 $, les conjoints ont obtenu un prêt hypothécaire de 400 000 $. Selon le contrat de prêt, les emprunteurs sont Lucie et Nicolas, mais leur responsabilité est solidaire envers le prêteur (une clause usuelle). Par conséquent et en cas de défaut de paiement, le prêteur pourra exiger le remboursement complet de l’un ou de l’autre, nonobstant la part de 50 % de chacun. Par ailleurs, la part indivise de chacun dans la maison sert à garantir la totalité de l’emprunt hypothécaire, et non seulement la moitié de cet emprunt.

Au décès de Nicolas

Avant de distribuer les biens de Nicolas à ses héritiers, il faut régler le partage des valeurs nettes du patrimoine familial et de la société d’acquêts. Par conséquent, la succession de Nicolas pourrait se retrouver avec une dette envers Lucie.

Cette dette pourra, notamment, être réglée par le transfert, total ou partiel, du REER de Nicolas en faveur du REER de Lucie, par roulement fiscal.

Une fois cette dette successorale envers Lucie entièrement réglée, il restera à distribuer le résidu des biens successoraux en faveur des héritiers, sous réserve du remboursement préalable de la plupart des autres passifs.

Nicolas est décédé sans testament

Puisque Nicolas n’a pas de testament, l’héritage sera distribué comme suit, conformément à la loi :

  • 1/3 à son épouse Lucie ;
  • 2/3 à son fils Antoine, représenté par sa mère (Sophie) à titre de tutrice légale de son enfant mineur.

Lucie, l’épouse de Nicolas, et Sophie, l’ex-conjointe de Nicolas, pourraient agir ensemble à titre de liquidatrices. Elles devront s’entendre sur le partage de l’héritage entre Lucie et Antoine. Le règlement d’une telle succession peut devenir fort complexe, pour des raisons émotives évidentes, et en raison notamment de la nature de certains biens à partager et pour des considé-rations fiscales.

Par exemple, Lucie voudra que la moitié indivise de la maison se retrouve prioritairement dans son lot de 1/3, avec prise en charge par elle de la totalité de l’emprunt hypothécaire, ainsi que le mobilier.

Le REER de Nicolas pourra bénéficier d’un roulement fiscal, tant en faveur de Lucie (dans son propre REER) qu’en faveur de son fils mineur (dans un contrat de rente jusqu’à ses 18 ans). Les liquidateurs devront donc optimiser la répartition du REER entre Lucie et Antoine, tout en respectant les parts globales de 1/3 et de 2/3 de chacun. Lorsqu’on détermine la part du REER à transférer, il faudra tenir compte de la charge fiscale que chacun des héritiers devra assumer.

Les placements non enregistrés et le CELI de Nicolas peuvent également être transférés par roulement fiscal, mais uniquement en faveur de Lucie. Un facteur fiscal devra également être considéré dans le cas du roulement des placements non enregistrés.

Force est de constater que le règlement d’une telle succession peut représenter un réel défi pour les héritiers et les liquidateurs.

Si Nicolas avait fait un testament

Dans son testament, Nicolas aurait pu prévoir un legs à titre particulier de son REER à Lucie, avec prise en charge par celle-ci des impôts relatifs à cet actif. Le résidu des biens de Nicolas serait alors légué à Antoine, sous réserve d’une administration de cet héritage par la sœur de Nicolas, jusqu’à l’âge de 25 ans. On suppose ici que la maison des époux fait l’objet d’une convention d’indivision avec option d’achat au premier décès, conclue du vivant de Nicolas.

Comme mentionné précédemment, le partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts doit être complété avant la remise des biens aux deux légataires. Bien que le REER de Nicolas soit légué spécifiquement à Lucie, sa valeur sera également considérée aux fins du partage du patrimoine familial, ce qui constitue une forme de double emploi du REER en faveur de Lucie.

Pour éviter ce double emploi et surtout la situation où l’époux survivant cumule à la fois son legs testamentaire et ses droits matrimoniaux, une clause dans le testament pourra obliger l’époux survivant à choisir entre son legs testamentaire et ses droits matrimoniaux. Les droits matrimoniaux comprennent, principalement, ceux qui découlent du partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts, le droit de l’époux survivant à une pension alimentaire post-mortem et à une prestation compensatoire.

Particularité du patrimoine familial

Nous pouvons également supposer que la succession de l’époux décédé (Nicolas) aurait une réclamation à l’encontre de l’époux survivant (Lucie). Ce serait donc le liquidateur qui réclamerait auprès de Lucie le versement d’une somme d’argent en faveur de la succession de Nicolas, afin d’être ensuite remise à Antoine lors de la distribution de l’héritage. Il s’agirait d’un actif additionnel pour la succession.

Prenons le cas du testament de Nicolas qui prévoit un legs universel à son fils mineur Antoine, sans administration par un tiers. Imaginez la réaction de Lucie qui apprend non seulement qu’elle a une dette envers la succession de Nicolas, mais qu’il n’y a aucun legs en sa faveur dans le testament de Nicolas. Par ailleurs, le seul héritier de Nicolas, son fils Antoine, sera représenté par sa mère Sophie (l’ex-conjointe de Nicolas), qui agira à titre de tutrice légale d’Antoine. Il se peut aussi que Nicolas ait désigné Sophie à titre de liquidatrice de sa succession, avec qui Lucie devra alors transiger. Par ailleurs, la désignation de Lucie à titre de liquidatrice la placerait en situation de réel conflit d’intérêts. Rajoutez à tout cela l’absence d’une convention d’indivision à l’égard de la maison, alors qu’une moitié indivise est détenue par la succession de Nicolas. Un réel cauchemar.

Les tribunaux québécois reconnaissent depuis plusieurs années qu’une succession est en droit de faire une telle réclamation à l’encontre de l’époux survivant. Dans le jargon juridique, il s’agit de la transmissibilité des droits qui découlent du patrimoine familial en faveur des héritiers de l’époux décédé. Généralement, cette transmissibilité au décès ne se produit pas sous le régime de la société d’acquêts car, selon la loi, l’époux survivant peut annuler cette réclamation.

Pour éviter que la succession d’un époux ait une réclamation à l’encontre de l’époux survivant, le testament de chaque conjoint pourrait prévoir un legs à titre particulier, en faveur de l’époux survivant, de tous les droits que la succession pourrait avoir contre cet époux dans le cadre du partage du patrimoine familial. De cette façon, ces droits seront automatiquement caducs.

Cette clause de protection pour l’époux survivant reste toutefois fragile puisqu’un testament peut être modifié ou remplacé en tout temps et à l’entière discrétion du testateur.

La meilleure protection demeure plutôt la conclusion d’un contrat de mariage, ou la modification du contrat existant, afin de prévoir une donation à cause de mort, de chaque époux à l’égard de l’autre, de tous les droits que la succession pourrait avoir contre l’époux survivant lors du partage du patrimoine familial. Il faudra ensuite que ces donations à cause de mort soient stipulées irrévocables, de façon à ce qu’aucun testament ne puisse les annuler.

Cette particularité du patrimoine familial ne se produira évidemment pas si tous les biens sont légués à l’époux.

Revoir vos documents personnels

On constate aisément que tant sur le plan financier, légal et fiscal que sur le plan émotif et familial, la vie de couple peut constituer un vrai casse-tête, surtout pour les familles recomposées. Qu’ils soient mariés ou en union de fait, les tourtereaux devraient toujours procéder à la préparation ou à la révision de leurs documents personnels avec l’aide de spécialistes :

  • contrat de mariage ou convention de vie commune ;
  • testament ;
  • mandat de protection en cas d’inaptitude ;
  • procuration générale et procurations spécifiques ;
  • convention d’indivision pour les propriétés d’habitation détenues conjointement ;
  • polices d’assurance vie ;
  • inventaire des actifs et passifs de chaque conjoint ;
  • directives médicales anticipées (DMA) ;
  • dons d’organes et de tissus ;
  • préarrangements funéraires.

La situation sera d’autant plus complexe si l’un des conjoints est propriétaire d’une société par actions, seul ou avec son conjoint ou ex-conjoint, ses enfants ou une fiducie familiale. Dans le cas d’un omnipraticien exerçant sa profession par l’entremise d’une telle société, cette dernière pourrait même détenir des placements, des biens immobiliers et des polices d’assurance vie.

Le recours à un professionnel sera évidemment requis quant à l’utilisation de la société par actions comme source de revenus familiale, tant au cours de la vie active qu’à la retraite. Les conseils d’un expert seront aussi nécessaires dans l’éventualité d’un décès, d’une séparation ou d’un divorce, d’une inaptitude ou d’une insolvabilité, tant sur le plan fiscal que juridique.

Vous devriez également porter une attention toute particulière à votre testament, à votre mandat de protection, à vos procurations et à vos polices d’assurance vie si ces derniers n’ont pas été révisés depuis la séparation avec votre ex-conjoint.


Le présent texte est d’application générale et n’a pour but que de fournir au lecteur des informations générales en matière de planification financière, successorale et fiscale. Pour des conseils spécifiques à l’égard de votre situation personnelle, nous vous invitons fortement à consulter un professionnel (avocat, notaire, fiscaliste ou comptable).

Le REER et le CELI en un clin d’œil

REER CELI Plafond de cotisation La cotisation maximale au REER s’élève à 18 % des revenus admissibles gagnés au cours de l’année précédente, jusqu’à un plafond annuel de 27 830 $ pour l’année fiscale 2021 et de 29 210 $...
Lire la suite

Survol des marchés financiers | Fiera Capital – Décembre 2021

Contexte économique La croissance de l’économie mondiale s’est poursuivie durant le quatrième trimestre de 2021. Il est toutefois clair que la pandémie de la COVID-19 est loin d’être terminée et que ses conséquences sur l’économie...
Lire la suite