/  01 janvier 2022

Le salaire minimum à 20 $ : quelques pistes pour la réflexion

En 2015, la ville américaine de Seattle frappait les esprits en votant une loi visant à augmenter graduellement le salaire minimum à 15 $ de l’heure pour 2021. Le taux horaire minimum y dépassait à peine 9 $. Cette progression salariale annuelle de plus de 7,5 % sur 6 ans, substantiellement plus rapide que l’inflation, visait à donner un peu d’air aux ménages à faible revenu. À l’automne 2021, Louis Audet, grand patron chez Cogeco, redonnait de l’élan au débat en parlant d’un salaire minimum à 20 $ de l’heure. Valoriser le travail de chacun, disait-il, « contribue à protéger notre démocratie. » Un salaire minimum à 20 $ est-il réaliste? Peut-on donner un peu de perspective à ce vieux débat?

 

Pourquoi un salaire minimum?

Rappelons que le salaire minimum est un plancher légal de rémunération qu’un employeur peut verser à ses employés. Ce taux est présentement établi à 13,50 $ de l’heure au Québec, ce qui représente un salaire annuel d’environ 24 570 $ pour un travailleur à temps plein. Le salaire minimum, dit-on, est un outil privilégié de lutte contre la pauvreté.

 

Il faut comprendre, cependant, que se doter d’une loi sur le salaire minimum c’est chercher explicitement un compromis entre deux objectifs conflictuels. D’un côté, il s’agit d’établir et maintenir le salaire minimum au niveau le plus élevé possible pour réduire les inégalités et la pauvreté des ménages à faible revenu. De l’autre côté, il nous faut éviter de l’augmenter au point où les conséquences seraient néfastes pour l’emploi des travailleurs au bas de l’échelle salariale. Car voyez-vous, un salaire minimum trop élevé réduit la compétitivité des entreprises et décourage l’embauche.

 

Qui travaille au salaire minimum au Québec?

Environ 4,1 millions de personnes avaient un emploi au Québec en 2020 selon les données de l’Enquête sur la population active menée par Statistique Canada. De ce nombre, 212 300 travailleurs recevaient le salaire minimum pour leur labeur soit, un travailleur sur vingt dans la belle province. La travailleuse « type » dans cette catégorie d’emploi, car il s’agit de femmes à 60 %, a entre 15 et 24 ans, est à l’emploi d’une PME dans le secteur du commerce ou de l’hébergement et des services de restauration. Vous l’aurez deviné, ce sont majoritairement ces travailleurs qui ont fait les frais de la pandémie puisque plusieurs de ces emplois sont des services dits « de proximité ».

Impact d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi, ce qu’en disent les économistes?

S’il est un sujet économique sur lequel un consensus n’existe pas, l’effet d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi en est clairement un. D’un côté, les économistes de facture classique concluent généralement qu’une hausse du salaire minimum aura des effets pervers sur l’emploi, particulièrement chez les jeunes et les travailleurs peu qualifiés. Ces effets sont multiples, mais on parlera principalement de pertes d’emplois, de réduction de l’offre de formation sur les lieux de travail, de baisse de la fréquentation scolaire et de la réduction du nombre d’heures travaillées. Devant la hausse du salaire de base, les entreprises favoriseront les mises à pied pour garder sous contrôle leur masse salariale et leurs coûts. Par exemple, les études récentes s’appuyant sur les données canadiennes semblent assez claires à ce sujet : une hausse de 10 % du salaire minimum provoque une baisse de l’emploi de 3 % à 6 %, principalement chez les adolescents et les jeunes.

 

D’un autre côté, certains chercheurs soutiennent que l’augmentation du salaire minimum n’a que des effets marginaux sur l’emploi et la formation, ou encore parleront d’un impact indiscernable sur les emplois au bas de l’échelle salariale. C’est ce que conclut une étude réalisée dans le milieu des années 1990 par David Card, lauréat 2021 du prix Nobel d’économie, qui suggérait que l’emploi des petits salariés n’avait pas diminué dans l’industrie de la restauration rapide à la suite d’augmentations du salaire minimum dans certains États américains.

 

Le sujet s’avère extrêmement complexe et malgré bon nombre d’études, aucun consensus ne semble émerger chez les spécialistes. Pour résoudre cette impasse, certains chercheurs ont soulevé la possibilité d’une relation non linéaire entre le salaire minimum et l’emploi. C’est-à-dire que l’emploi ne réagirait pas de la même façon à une hausse du salaire minimum si ce dernier est faible (ou élevé) en relation au salaire moyen. L’idée véhiculée s’explicite comme suit : augmenter le salaire minimum lorsque ce dernier est élevé en proportion du salaire moyen, impacterait alors beaucoup de travailleurs afin de maintenir l’équité dans les échelles salariales. Un changement du salaire minimum aurait alors un effet prononcé sur l’emploi. Par opposition, lorsque le salaire minimum est faible en regard du salaire moyen, un nombre plus restreint de salariés seraient touchés, ce qui amoindrirait l’effet d’un changement sur l’emploi ou le rendrait négligeable.

 

Résoudre le dilemme

Si nous pouvions établir un niveau du salaire minimum de manière à permettre un niveau de vie adéquat sans réduire l’emploi de manière démesurée, nous aurions atteint un niveau de salaire minimum « optimal », à la frontière entre la valorisation du travail de chacun et la capacité financière de payer des entreprises. Pourvu, évidemment, qu’une telle intersection existe.

 

Vous vous en doutez, il n’y a pas de consensus parmi les économistes ici non plus! Cependant, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale indique dans son Plan stratégique 2019-2023 vouloir atteindre et maintenir comme cible un ratio de 50 % entre le taux de salaire minimum et le salaire horaire moyen. Le ministère aura vraisemblablement établi que ce seuil était raisonnable pour minimiser les pressions sur la capacité financière des entreprises, maintenir leur compétitivité à l’échelle locale et internationale et éviter de grandes vagues de délocalisation et d’automatisation au détriment des emplois à faible rémunération. Cet objectif a d’ailleurs été atteint au cours de l’année fiscale 2020-2021 puisque le salaire horaire de 13,50 $ de l’heure représente 51 % de la rémunération horaire moyenne au Québec. Nous sommes loin des 20 $ par heure.

 

Ainsi, pour résoudre le dilemme, la question devient : un salaire minimum à 13,50 $ offre-t-il un niveau vie suffisant aux travailleurs et aux familles à faible revenu dans le Québec d’aujourd’hui ? Encore faut-il savoir ce qu’est un « niveau de vie suffisant », concept subjectif s’il en est un. Au Canada, c’est la Mesure du panier de consommation (MPC) qui est privilégiée comme mesure de faible revenu. Elle indique le revenu nécessaire pour qu’une personne ou une famille puisse se procurer un ensemble de biens et de services de base comprenant l’habillement, l’alimentation, le logement et le transport. Selon cette métrique, il faudrait un revenu annuel de 20 767 $ pour qu’une personne seule puisse se procurer le panier minimum de consommation au Québec en 2021. À 24 570 $, c’est ce que semble permettre le salaire minimum actuel. Soyons francs, il ne s’agit là que d’un strict minimum socialement acceptable.

 

Élargir le débat

Chercher un compromis entre les deux objectifs conflictuels (maintenir le salaire minimum au niveau le plus élevé possible et éviter les conséquences néfastes pour l’emploi) est plus que souhaitable. Cependant, une analyse qui ne s’intéresse qu’au taux de salaire minimum serait incomplète. Pour obtenir une bonne lecture du revenu disponible des ménages qui travaillent au bas de l’échelle, il faut également tenir compte de la fiscalité et des prestations offertes aux différents types de ménages à bas revenu. À ce chapitre et sans être parfait, le Québec tire relativement bien son épingle du jeu dans les comparaisons interprovinciales et internationales.

 

Et alors? Un salaire minimum à 20 $ est-il réaliste au Québec en cette fin de pandémie? Puisque dans le marché du travail actuel, ce taux de rémunération représenterait 75 % du salaire horaire moyen, il semble que les effets négatifs sur le nombre d’emplois à bas salaire pourraient outrepasser les effets positifs d’une augmentation du revenu disponible. Les pertes d’emplois, particulièrement chez les jeunes et les petits salariés, seraient donc contreproductives dans notre lutte aux inégalités. Néanmoins, viser l’atteinte graduelle d’un salaire minimum à 20 $ au cours de la prochaine décennie pourrait être jouable. Pour y arriver, une croissance saine de l’économie du Québec ainsi que la poursuite ambitieuse, mais réaliste, de programmes fiscaux ciblés, pourraient assurément jouer un rôle dans l’atteinte de cet objectif.

La notion de gain en capital

« Acheter au prix le plus bas et vendre au prix le plus fort, là est le secret! »   Apprivoiser la notion de gain en capital Du point de vue de la Loi sur l’impôt, un...
Lire la suite

L’expansion du bilan de la banque centrale : Un territoire inexploré

En raison de son rôle unique, le bilan de la Banque du Canada n’est pas comme celui des autres institutions financières puisque son objectif premier ne vise pas à générer des profits, mais bien à...
Lire la suite