Un retour salutaire sur la récente fièvre boursière
Après la fièvre boursière et le douloureux retour à la réalité provoqués par les titres de haute technologie (en particulier celui de Nortel), il nous apparaît utile et opportun de revenir sur cette période.
À cet égard, la lecture du petit livre Brève histoire de l’euphorie financière, de John Kenneth Galbraith, professeur émérite d’économie à l’université de Harvard et ancien ambassadeur des États-Unis en Inde sous l’administration Kennedy, suscite de nombreux éléments de réflexion.
Avec beaucoup d’humour, il nous fait découvrir plusieurs épisodes spéculatifs qui ont inévitablement débouché sur un effondrement aussi rapide que dévastateur du marché.
En effet, à partir d’épisodes de spéculation financière remontant aussi loin qu’au XVIIème siècle, Galbraith indique des facteurs communs qui ont prévalu à chacune de ces périodes.
Tout d’abord. Il y a toujours un engouement collectif, une euphorie qui exclut toute considération sérieuse de la vraie nature des événements et qui engendre une fuite collective hors du réel.
Il y a également l’amnésie qui semble affecter la mémoire financière : tout désastre financier est vite oublié, même lorsque les circonstances identiques ou similaires se reproduisent. Ce facteur est généralement intensifié par l’arrivée d’une nouvelle génération d’investisseurs, souvent jeunes, dans le monde de la finance ou dans l’économie en général. A ce propos, l’auteur relate :
- la fièvre qui a entouré le marché des bulbes de tulipes en Hollande au cours des années 1630;
- la débâcle de la Compagnie des mers du Sud en Angleterre dans les années 1720 à la faveur de la découverte des nouveaux marchés de l’Amérique du Sud;
- les diverses débâcles financières vécues par les Nord-Américains de 1837 à 1987, et notamment le krach de 1987, à la suite de l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir et de la mise en application de ses nouvelles politiques économiques en faveur de la libre entreprise.
Galbraith considère aussi comme élément aggravant l’illusion que l’argent et l’intelligence soient liés. Cette idée largement répandue crée, chez l’investisseur, une illusoire confiance en soi et envers les autres joueurs plus fortunés. Plus la fièvre monte, plus ce phénomène s’accentue et fait tomber les plus élémentaires réflexes de prudence. Tout un chacun est alors de plus en plus confiant et certain d’avoir découvert, grâce à son génie, le « bon filon ». Ce faisant, les investisseurs se remettent à croire aux vertus, voire aux miracles de l’effet de levier ainsi qu’à un marché haussier sans fin.
Dans cet esprit, l’auteur reprend les propos d’Irving Fisher, éminent professeur d’économie à l’université Yale, qui déclarait à l’automne 1929 : « Les cours des actions ont atteint ce qui semble devoir être un haut niveau permanent. » Avec à-propos, Galbraith rappelle que, de toute façon, les commentaires qui entravent ou menacent le climat d’euphorie sont « ignorés, exorcisés ou fustigés » par les joueurs présents dans les marchés.
Ne serait-ce qu’à cause de l’importance de l’effet de levier dans les marchés, tout épisode spéculatif se termine inévitablement par une chute rapide et brutale. Il s’ensuit alors à coup sûr une période d’analyse au cours de laquelle on cherche à incriminer divers éléments extérieurs à la fièvre spéculative.
À titre d’exemple, l’auteur cite les ralentissements économiques, les hausses de taux d’intérêt, la lourdeur des programmes sociaux, les déficits budgétaires et, de récente mémoire, les programmes informatiques de transactions planifiées. Il précise que la cause fondamentale de ces problèmes, en l’occurrence la fièvre spéculative humaine, n’est jamais pointée du doigt.
Cette période d’analyse est suivie de la mise en place de nouveaux mécanismes de régularisation liés aux causes décelées ainsi que par une période de temps (d’au plus vingt ans) au terme de laquelle 1) la mémoire collective a oublié la période précédente, et 2) arrive une nouvelle génération de spéculateurs. Le krach de 1929 fait cependant exception à la règle, l’ampleur du désastre ayant refroidi les ardeurs spéculatives de plusieurs générations.
Publié en 1990, le livre du professeur Galbraith ne traite évidemment pas de la récente période de fièvre spéculative. Nous pouvons néanmoins effectuer de nombreux parallèles, ne serait-ce qu’en nous rappelant les récents débats sur les vertus de « la nouvelle économie » en regard de celles de « l’ancienne économie ».
Il ne nous reste plus qu’à souhaiter que M. Galbraith se trompe lorsqu’il affirme que le phénomène se répète sans cesse, et à espérer que les nouvelles technologies incitent l’investisseur de la nouvelle économie à mieux s’informer et à faire preuve de plus de sagesse !
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