/  04 juillet 2016

Sociofinancement 101

Auriez-vous imaginé que Monsieur Madame Tout-le-Monde puisse devenir une force sur le marché du capital de risque? C’est ce qui se passe avec le sociofinancement. Découvrez ici ce nouveau véhicule de placement.

Propulsées par l’ère des réseaux sociaux, les plateformes en ligne de sociofinancement sont aujourd’hui au nombre de 600 dans le monde, dont près de 45 au Canada seulement. Ce n’est qu’un début! La Banque mondiale prévoit que ce marché représentera 91 G$ US d’investissements d’ici 2025, soit un peu moins de 2 % de la valeur totale des investissements en capital de risque de la planète.

Au Québec, peu ou pas d’études permettent de chiffrer la valeur de ce marché. Selon l’Association canadienne du capital de risque et d’investissement, les investissements totaux en capital de risque au Québec ont atteint 5,4 G$ en 2015. Ainsi, par analogie et si la tendance prévue par la Banque mondiale se confirme chez nous, le sociofinancement pourrait représenter près de 100 M$ au Québec d’ici un peu plus de cinq ans.

Il demeure donc beaucoup d’inconnues, mais le phénomène est bien présent chez nous.

Réglementation

Le Québec a pris soin d’instaurer une réglementation sur le sociofinancement dernièrement. Depuis mai 2015, les investisseurs québécois peuvent investir jusqu’à un maximum de 1500 $ par placement dans des entreprises en démarrage. Une ronde de sociofinancement est limitée à un maximum de 500 000 $ par an dans ce cas. En janvier dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a ajouté la possibilité d’investir dans les PME et de petites sociétés publiques, à raison d’un maximum de 2500 $ par ronde de sociofinancement maximale de 1,5 M$ par an.

Le marché du sociofinancement est donc pleinement réglementé depuis janvier 2016. Ne soyez pas surpris si on vous sollicite au cours des prochaines années pour investir dans ce nouveau type de véhicule de placement.

Que devez-vous savoir avant de vous lancer ?

Il faut d’abord comprendre la philosophie du sociofinancement. On peut dire que le sociofinancement est un bailleur de fonds de dernier recours pour les entrepreneurs.

Jadis, lorsqu’un entrepreneur souhaitait lancer une entreprise et que sa banque lui refusait un prêt, il se tournait généralement vers sa famille ou ses amis. Dans le jargon du financement d’entreprises, on appelle cette forme de financement du love money. Or, le sociofinancement se présente aujourd’hui comme une alternative au love money traditionnel. Ainsi, dès le départ, le sociofinancement était une entreprise sans but lucratif.

Les internautes se réunissaient (et se réunissent toujours) au sein de plateformes en ligne telles que Kickstarter. Sur chaque plateforme, des promoteurs présentent des projets à une communauté d’internautes. Parmi ces internautes, certains souhaiteront voir le projet du promoteur se réaliser. Ils ont alors la possibilité d’injecter une somme d’argent (même modique) dans le but de financer la réalisation du projet en question.

En règle générale, le promoteur fixe une cible de financement précise qui, selon lui, permettra la réalisation du projet. La plateforme de sociofinancement amorce alors une ronde de financement et retient en fiducie les sommes qui sont versées par les internautes pour la réalisation du projet.

Si le projet génère suffisamment d’intérêt et que la cible de financement est atteinte dans le délai donné, le montant du financement est alors versé au promoteur par la plateforme de sociofinancement. Si la cible n’est pas atteinte, le sociofinancement échoue et les sommes versées sont redonnées aux internautes.

Qu’est-ce que les internautes qui financent ces projets ont à gagner? À l’origine, la récompense était simplement la réalisation du projet. Les bases historiques du sociofinancement sont donc altruistes.

Les donateurs peuvent aussi se voir promettre des cadeaux ou des rabais en lien avec le projet. Par exemple, si l’objet du sociofinancement est un spectacle, l’internaute pourra recevoir une série de billets dans les premières rangées.

Financement participatif en capital

Le modèle de sociofinancement a rapidement été repris dans le cadre d’un modèle à but lucratif, le financement participatif en capital. L’objet ici n’est plus d’obtenir des billets pour notre spectacle préféré, mais bien de réaliser un rendement sur du capital investi.

La mécanique demeure la même que celle du sociofinancement traditionnel, à la différence près que l’internaute est cette fois-ci un véritable investisseur. En contrepartie de son investissement, l’entrepreneur s’engage à lui verser des actions de la société ou encore, par exemple, des débentures portant intérêt.

En somme, il s’agit d’un investissement en capital de risque, mais à hauteur d’homme. Certains diront qu’il s’agit d’une démocratisation du marché des capitaux.

Un marché réglementé

Il est important de comprendre que le financement participatif en capital est un marché strictement encadré par l’AMF. Ne récolte pas l’argent du public qui veut.

Un portail de sociofinancement doit absolument être enregistré en bonne et due forme auprès de l’AMF pour opérer légalement au Québec. Seules trois plateformes ont bénéficié de cet enregistrement à ce jour : StellaNova, GoTroo et FrontFundr.

L’entrepreneur qui émet des titres offerts par l’intermédiaire d’une plateforme de sociofinancement doit aussi établir un document d’offre qui sera affiché obligatoirement sur la plateforme. Avant de procéder à l’investissement, l’internaute doit confirmer avoir lu le document d’offre et avoir compris qu’il s’agit d’un investissement à risque élevé.

Le risque

 En parlant de risque élevé, celui du sociofinancement est bien réel. On ne dira jamais assez que la prudence est de mise, car les pièges sont nombreux.

Vous devez savoir d’emblée que vous pouvez perdre votre investissement en totalité. Une entreprise en démarrage est la plupart du temps à deux doigts de la mort. Il y a beaucoup d’appelées et peu d’élues dans ce domaine.

De plus, comprenez que votre argent sera dans les faits « gelé » pendant une bonne période de temps. C’est le risque de liquidité du sociofinancement. Le marché secondaire pour les titres acquis est très limité; il ne s’agit pas d’une bourse organisée. Vous devez considérer un horizon de placement moyen de 7 à 10 ans.

N’espérez pas un dividende. Il est très rare que les sociétés qui recourent au sociofinancement en versent, en particulier pendant les premières années.

Chaque nouvelle ronde de financement pourra aussi réduire la proportion de votre participation à l’entreprise parce que de nouveaux titres sont émis. C’est le risque de dilution. De plus, en tant que porteur minoritaire, votre influence sur les décisions de l’entreprise est négligeable.

N’oubliez pas que des stratagèmes de fraude sont possibles en matière de sociofinancement comme dans d’autres domaines de la finance. Il est possible qu’on vous propose une transaction par le biais d’une plateforme qui n’est pas inscrite auprès de l’AMF. Par prudence, avant d’investir, vérifiez si la plateforme de sociofinancement est bel et bien inscrite à l’AMF.

L’expérience passée démontre aussi que les insuccès sont courants en sociofinancement.

Par exemple, on a pu observer que, entre 2011 et 2013, une entreprise sur cinq ayant récolté du sociofinancement par l’intermédiaire de Crowdcube, une des plateformes les plus importantes du Royaume-Uni, a échoué. L’investisseur a donc finalement perdu de l’argent. En fait, une étude a analysé les cinq plus grandes plateformes de sociofinancement du Royaume-Uni. Elle rapporte que 20 % des entreprises ayant bénéficié de sociofinancement pendant ces trois ans n’existent plus aujourd’hui. Seulement 22 % de ces entreprises présentent une valorisation supérieure et ont procuré un rendement aux investisseurs.

L’étude révèle en outre que le taux de rendement moyen du financement participatif en capital pour les cinq plus grandes plateformes du Royaume-Uni depuis février 2011 est de seulement 2,17 %.

En définitive, si vous vous sentez toujours attiré par le sociofinancement, sachez que votre arme la plus fiable est la diversification. Il s’avère fort préférable d’investir de petites sommes dans de nombreux projets qu’une somme importante dans un seul projet.