/  01 septembre 2018

Resserrement des règles hypothécaires

Contexte historique

Lorsque des signaux inquiétants émanent du marché immobilier, il arrive que les autorités publiques interviennent dans le but d’éviter une surchauffe. En 2008, par exemple, le gouvernement fédéral a diminué la période maximale d’amortissement d’un emprunt hypothécaire de 40 à 35 ans avant de revenir à la charge en 2011 pour la réduire de 35 à 30 ans, puis en 2012 pour la faire passer de 30 à 25 ans.

La crise du crédit de 2008 ayant mis en lumière l’importance, pour les institutions financières, de s’assurer de leur capacité à gérer des situations d’urgence et à maintenir leur solvabilité en cas de grandes perturbations économiques, elles se sont vu imposer, notamment par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), des exigences de plus en plus strictes quant au type et à la gravité des scénarios de risque qu’elles doivent simuler chaque année.

Pratique exemplaire en matière de gestion des risques, la simulation de crise a été introduite pour limiter l’endettement des ménages canadiens en contrôlant leur niveau d’emprunt hypothécaire. Le test de simulation de crise pour prêts hypothécaires (mortgage stress test) s’est d’abord appliqué à certains prêts hypothécaires assurés assortis d’un taux variable ou fixe et d’une durée de moins de cinq ans, non pas sur la base du taux d’intérêt réel, mais sur le taux de référence de la Banque du Canada.

Ainsi, un acheteur qui voulait emprunter pour acheter une propriété et qui ne disposait pas d’une mise de fonds équivalant à au moins 20 % de la valeur d’achat totale de la propriété convoitée devait faire une demande de prêt hypothécaire assorti d’une assurance qu’il pouvait souscrire, par exemple, auprès de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

En octobre 2016, cette exigence a été étendue à tous les prêts hypothécaires assurés, incluant ceux assortis de taux fixes de cinq ans et plus. Cependant, cette mesure ne concernait pas les propriétaires d’une résidence qui détenaient alors une hypothèque assurée ni ceux qui renouvelaient un prêt hypothécaire assuré.

Il faut se rappeler que les marchés immobiliers de Vancouver et de Toronto étaient en surchauffe, que les prix explosaient et qu’un nombre de plus en plus grand d’emprunteurs affichait un niveau d’endettement élevé. Les autorités fédérales voulaient donc favoriser l’accès à la propriété responsable en s’assurant que les emprunteurs soient en mesure de s’acquitter de leurs responsabilités financières en cas d’imprévus préjudiciables, par exemple une hausse des taux d’intérêt. En effet, une augmentation de 1 % des taux d’intérêt risquait de placer beaucoup de ménages dans une situation périlleuse (une reprise de financement, par exemple).

Application des règles

En pratique, une simulation de crise n’est pas une épreuve visant à faire une prédiction ou une prévision. Elle sert à évaluer la capacité à surmonter des scénarios extrêmes dont les probabilités de se réaliser sont très faibles, et à faire des plans en conséquence. Ainsi, plutôt que d’appliquer à une demande de prêt le taux accordé, l’institution financière simule une « crise » et utilise le taux de qualification le plus élevé entre, d’une part, son taux offert pour souscrire le prêt hypothécaire majoré de 2 %, et, d’autre part, le taux de référence de cinq ans[1] publié par la Banque du Canada.

C’est sur la base de cette conjecture alarmiste que l’institution prêteuse décide du montant qu’elle accepte de consentir[2]. La mensualité à verser est calculée non pas sur le taux de qualification, mais bel et bien sur le taux réellement négocié avec l’institution.

En octobre 2017, les autorités fédérales sont intervenues de nouveau et ont annoncé qu’à compter du 1er janvier 2018, tous les emprunteurs, incluant ceux qui ne sont pas tenus d’assurer leur financement hypothécaire (c’est-à-dire ceux dont la mise de fonds représente plus de 20 % de la valeur d’achat totale de la propriété), seraient assujettis au « test de résistance » susmentionné.

Ce resserrement des règles porte uniquement sur les nouveaux prêts hypothécaires et sur les refinancements. Il ne s’applique pas aux renouvellements hypothécaires, mais il concerne les emprunteurs qui souhaitent changer d’institution financière; le cas échéant, ces derniers doivent se requalifier et, conséquemment, se soumettre à une simulation de crise.

Répercussions

Contrairement au resserrement qui a été décrété en 2016 et qui touchait principalement les premiers acheteurs et les jeunes ménages ne disposant pas toujours d’une mise de fonds suffisante pour renoncer à contracter une assurance, celui de cette année affecte les acheteurs qui sont déjà propriétaires ou à la recherche de refinancement.

Selon les spécialistes, les nouvelles règles sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur les acheteurs de maisons haut de gamme, car elles réduisent l’accès à la propriété pour les gens financièrement à l’aise qui souhaitent acheter ce type de maisons. Même si le taux d’intérêt gonflé en vertu de la simulation n’est pas celui qui est effectivement appliqué au prêt hypothécaire consenti, il plombe substantiellement la capacité d’emprunt des acheteurs de même que la valeur des prêts. Comme le réflexe « normal » est de choisir une maison dont la valeur est moindre afin de se conformer aux nouvelles exigences, beaucoup d’acheteurs modèrent leurs ambitions, révisent leurs plans à la baisse et se contentent de propriétés moins coûteuses.

À cette conséquence se greffe celle des retombées de la hausse des taux d’intérêt directeurs sur la grille de taux hypothécaires. En janvier dernier, la Banque du Canada a décrété une troisième augmentation de ses taux directeurs en six mois. Son taux cible à un jour est passé à 1,25 %, mais des économistes prévoient qu’il devrait être supérieur à 2 % l’an prochain.

Pour le Québec, où le taux de propriété est inférieur à celui observé dans toutes les autres provinces canadiennes (61 % comparativement à 70 % ou plus), l’approche mur à mur des autorités (resserrement pancanadien) représente un enjeu sérieux.

Globalement, les nouvelles règles ont affecté les ventes de propriétés. Après une hausse en novembre et décembre 2017, le marché immobilier canadien a enregistré une baisse en janvier et en février 2018. De fait, il semble que les acheteurs aient devancé leurs décisions dans le but d’éviter les nouvelles règles hypothécaires.

Le Québec n’y a pas échappé, mais le recul du début de l’année est plus modeste que dans le reste du Canada, alors que le nombre de propriétés vendues ici en janvier 2018 par l’entremise d’un courtier immobilier s’est avéré le meilleur premier mois de l’année en            10 ans. Il semble toutefois que le dernier resserrement et la hausse des taux d’intérêt soient à l’origine d’un réajustement de la demande favorable à la propriété locative.

Et après…

Pour ce qui est de l’avenir, il ne faut pas perdre de vue qu’outre le ratio d’endettement moyen des ménages qui demeure très élevé, le vieillissement de la population est un autre phénomène qui pourrait avoir des conséquences majeures sur l’offre dans le marché immobilier résidentiel.

C’est ce qui incite les autorités publiques à demeurer vigilantes et à s’assurer que les acheteurs contractent des hypothèques non pas qu’ils croient pouvoir, mais qu’ils peuvent réellement assumer. Dans cette optique, leurs tours de vis occasionnels sont sans doute le meilleur exemple de ce qu’est « un mal nécessaire ».

[1]    Ce taux varie dans le temps.

[2]    L’institution ne peut pas prêter une somme qui ne passe pas ce « test de résistance ».