/  18 mai 2006

Marchés émergents : y être ou ne pas y être, telle est la question – II

Nous vous présentons la deuxième et dernière partie d’un article paru dans les numéros de novembre et décembre 2004 de la publication Avantages.

Dans le numéro précédent, nous avons montré que même si les marchés émergents ne constituent pas un groupe homogène, ils partagent un certain nombre de caractéristiques communes, qu’elles soient financières, macroéconomiques, structurelles, ou relatives à la gouvernance et à la transparence. Ces dernières permettent de distinguer les marchés émergents des marchés développés et des marchés frontières.
Les processus de libéralisation et d’ouverture des marchés, ainsi que l’arrivée massive de capitaux étrangers ont favorisé le développement rapide de ces marchés. Ce second volet de l’étude met tout d’abord l’accent sur les principaux facteurs qui ont présidé à l’engouement des investisseurs pour les marchés émergents (effet de diversification et potentiel de croissance), ainsi que sur leur évolution.
Par la suite, nous présentons la performance historique relative des marchés émergents par rapport à plusieurs catégories d’actif, en prenant soin de distinguer deux sous-périodes très différentes: 1988-1994 et 1995-2003. En effet, la croissance de ces marchés émergents ne s’est pas faite sans heurts. Plusieurs carences structurelles : faible liquidité, absence d’investisseurs locaux d’importance, système judiciaire défaillant, système de gouvernance peu adéquat, corruption endémique et risque politique élevé ont conduit à des crises financières, sociales et économiques majeures.
Ces crises ont certainement permis de corriger des lacunes structurelles importantes. Toutefois, elles ont fait en sorte que les rendements n’ont pas toujours été aussi attrayants que ceux escomptés. Les rendements ont été très volatils et l’effet de diversification anticipé s’est avéré moindre que prévu en raison d’une plus grande globalisation des marchés et d’un effet de contagion non négligeable, du moins par région géographique, au plus fort de la tempête. Nous mettons en évidence des résultats contrastés selon les marchés, les régions ou les périodes considérées et abordons également la question de l’impact des devises sur la performance relative de ces marchés.


Éléments attrayants offerts par les marchés émergents

Les éléments ayant servi jusqu’ici à définir les marchés émergents (plus petite taille de l’économie, plus faible liquidité, problèmes structurels) ne sont pas de nature à attirer les investisseurs étrangers. Pourtant, l’engouement pour les marchés émergents est bien présent.

Deux caractéristiques alléchantes

Selon Bruner et al. (2003), deux caractéristiques importantes des marchés émergents devraient rendre ces derniers attrayants aux yeux des gestionnaires de portefeuille :

– leur faible corrélation avec les grands marchés boursiers mondiaux;
– le bon potentiel de croissance future de leur capitalisation boursière.

La faible corrélation entre les marchés émergents et les marchés développés a fait l’objet de plusieurs études. Notamment, Harvey (1995) révèle que la faible corrélation entre les marchés émergents et les marchés mondiaux implique que l’ajout d’un portefeuille de marchés émergents à un portefeuille diversifié de marchés développés devrait permettre une réduction de 6 % de la volatilité totale du portefeuille tout en maintenant un même niveau de rendement espéré. Le tableau 1 présente la matrice de corrélations entre le rendement de l’indice MSCI EM et ceux d’un indice du marché monétaire (bons du Trésor américain de 90 jours), d’un indice obligataire (Lehman Brothers aggregate) et de différents indices boursiers (S&P 500, MSCI World, MSCI EAFE non couverts en dollar américain). Les coefficients de corrélation avec les indices boursiers des marchés développés ont augmenté de façon sensible au cours des années en raison de la globalisation croissante des marchés. Actuellement, les corrélations des marchés émergents avec le S&P500 sont du même ordre de grandeur que dans le cas du MSCI EAFE.

 

Tableau 1- Corrélations entre les divers indices représentant les catégories d’actifs

Au niveau du potentiel de croissance future de la capitalisation boursière des marchés émergents, il suffit de noter qu’en 2002 les marchés émergents ne représentaient que 10,5 % de la capitalisation boursière mondiale alors que leurs PIB comptaient pour 20 % du PIB global. Le tableau 2 permet de comparer la croissance réelle récente du PIB de certains marchés émergents à celle du Canada et des États-Unis.

Tableau 2- Croissance réelle récente du PIB
pour certains marchés émergents (2002, 1998-2002)

Source : Institut de la Statistique du Québec

Performance des marchés émergents sur la période janvier 1988 à décembre 2003

Après avoir examiné les deux principaux éléments qui justifient le désir d’investir dans les marchés émergents, nous examinons si la performance historique de ces marchés a généré les bénéfices espérés. Nous présentons la performance des marchés émergents dans leur ensemble, puis celle de certains pays pris individuellement sur les quinze dernières années.

Deux périodes bien distinctes

Le tableau 3 permet de comparer la performance de l’indice MSCI EM avec celle de différents indices. L’indice MSCI EM a connu une performance intéressante avec le rendement le plus élevé, mais aussi la plus grande volatilité parmi les 6 indices comparés. Les deuxièmes et troisièmes portions du tableau permettent d’observer la cassure significative dans le profil risque/rendement des marchés qui s’est opérée aux alentours de la crise mexicaine de janvier 1995. En effet, le rendement (risque) de l’indice MSCI EM a été de 29,1 % (22,5 %) pour la période janvier 1988 à décembre 1994, ce qui fait contraste avec le rendement de 1,1 % (24,1 %) pour la période janvier 1995 à octobre 2003.

Tableau 3 – Comparaison de la performance de différents indices
sur la période janvier 1988-décembre 2003

Des résultats contrastés

Comme nous l’avons fait plus tôt pour les variables macroéconomiques, nous présentons au tableau 4 les meilleurs et les pires pays du groupe des 26 marchés émergents en termes de rendement. Nous présentons d’abord les résultats sur les 10 dernières années, puis la performance plus récente sur les 12 derniers mois. Les chiffres les plus frappants se retrouvent à la droite où l’on constate la performance stupéfiante des marchés émergents au cours de la dernière année. Il est plutôt déconcertant de parler d’un « pire » rendement de 26,6 %. Sur 10 ans, les rendements sont beaucoup moins impressionnants. Toutefois, la période de 10 ans est lourdement influencée par les années de crises qui se sont succédé de 1995 à 1998.

Tableau 4 – Rendement historique annualisé sur 10 ans
et sur 12 mois pour certains marchés émergents

Pour atténuer un peu les effets de ces crises, nous présentons au tableau 5, la performance des indices régionaux sur les 5 dernières années (après les crises), sur les 10 dernières années, puis finalement sur les 15 dernières années. Ce tableau permet de noter un effet temps et un effet région dans la performance des marchés émergents.

Tableau 5 – Effet temps et effet région
sur la performance des marchés émergents

Impact des devises

Tous les résultats présentés jusqu’ici sont les rendements obtenus après conversion des différentes devises locales en dollar américain. Toutefois, l’impact de cette conversion peut influencer considérablement la performance. Le tableau 6 présente les rendements sur 10 ans pour différents marchés en dollar américain, puis en monnaie locale. Les écarts entre les rendements annualisés en devise locale et en dollar américain peuvent être très importants (de 10% à 60 % selon les marchés). L’investisseur doit donc garder en tête cet élément primordial lorsqu’il développe sa stratégie d’investissement à l’égard des marchés émergents. La couverture du risque de change est un enjeu important même si son coût est élevé, voire impossible (manque de liquidité). Toutefois, l’exposition à un portefeuille de 26 devises conduit à un effet de diversification naturelle du risque de change.

Tableau 6 – Impact de la devise sur le rendement
de certains marchés émergents

Conclusion

Dans ce texte, nous avons examiné le profil risque/rendement des marchés émergents ainsi que leur performance historique.

Les marchés émergents sont apparus comme une catégorie d’actif offrant un haut potentiel de rendement, mais au prix d’une forte volatilité. Historiquement, les marchés émergents ont permis un grand effet de diversification. Toutefois, la corrélation entre l’indice MSCI EM et le S&P 500 n’a cessé d’augmenter depuis 1990. Les bénéfices de diversification pourraient donc s’estomper. Il ne faut pas aussi perdre de vue le risque d’autres crises majeures et les risques de contagion s’y rattachant.

Malgré les risques, il apparaît difficile de ne pas se laisser tenter par les marchés émergents. On peut difficilement rester indifférent devant les rendements offerts par les différents marchés émergents au cours de l’année 2003. Il est également difficile de rester sourd face à tout l’engouement que suscitent des marchés comme la Chine ou l’Inde. Finalement, il convient de rappeler qu’en 2002 les marchés émergents ne représentaient que 10,5 % de la capitalisation boursière mondiale alors que leurs PIB comptent pour 20 % du PIB global. Un tel potentiel de croissance peut difficilement être ignoré.