/  18 novembre 2005

L’héritage économique d’Alan Greenspan en jeu

Tel que nous l’avons mentionné dans notre chronique du mois d’octobre 2005, l’actuel président de la Réserve fédérale américaine (Fed), M. Alan Greenspan, prendra sa retraite prochainement, soit à la fin de janvier 2006. L’article que nous avions alors publié nous faisait découvrir un volet de la personnalité de M. Greenspan. Ce mois-ci, nous vous proposons un le bilan de ses 18 années de mandat. Vous comprendrez pourquoi cet homme, considéré comme « le plus grand banquier de tous les temps » est déjà regretté par le monde financier.

Voici donc le texte de M. Greg Ip intitulé « L’héritage économique d’Alan Greenspan en jeu », paru le 25 juin 2005 dans la section The Wall Street Journal, du cahier Votre argent du Journal de Montréal.

Dans l’ensemble, la réaction de la Réserve fédérale à l’effondrement du marché boursier et des titres technos en 2000 a été remarquablement bénéfique. En effet, la récession qui a suivi en 2001 a été modérée, et la croissance économique reste soutenue depuis lors. L’emploi est en hausse, tandis que l’inflation demeure dans la zone cible fixée par la Fed en matière de stabilité des prix.

Mais cinq ans après les sommets record du marché boursier, l’économie est menacée par d’autres facteurs de déséquilibre : l’éventualité d’une bulle immobilière, un taux d’épargne des particuliers incroyablement bas et un déficit commercial gigantesque. Et les traitements appliqués par la Fed à la suite de l’emballement du marché sont en partie responsables de ces trois malaises. Les représentants de la Fed en conviennent, prétendant toutefois que les autres solutions auraient été pires.

Taux d’intérêt

En comprimant les taux d’intérêt à court terme à des niveaux inégalés depuis  45 ans, la Fed a encouragé le recours intensif aux emprunts, des rendements insignifiants sur les épargnes et la flambée des prix des maisons. Le président Bush et le Congrès ont aggravé la situation avec de fortes réductions d’impôts qui ont accru le pouvoir d’achat des ménages. Toutes ces dépenses ont contribué à la croissance de l’économie américaine, à l’intensification des importations et – comme les Américains sont si avides d’emprunts et les étrangers, de prêts – à un gonflement de la dette extérieure.

Tout cela a de quoi réjouir la population, du moins pour l’instant. Mais les représentants de la Fed, les gendarmes financiers internationaux et les économistes indépendants croient de plus en plus qu’il n’en sera pas toujours ainsi. Tôt ou tard, les consommateurs devront diminuer leurs dépenses, accroître leurs épargnes et s’affranchir des emprunts à l’étranger.

Comment cela se produira-t-il? Voilà la grande inconnue. Après avoir traité cette hyperdistension, comment la Fed contrera-t-elle les effets secondaires de son remède ?

«Nous avons fait ce qu’aucune autre économie n’avait accompli avant pour juguler une bulle d’actifs», a déclaré Lawrence Lindsey, ancien gouverneur de la Fed et ex-conseiller du président, au cours d’un récent débat d’experts. Vantant les mérites des réductions de taux de la Fed et des dégrèvements fiscaux de M. Bush, il a ajouté : « C’était la première fois dans l’histoire que l’on appliquait le traité de politique économique… et cela a très bien fonctionné. Le problème, c’est qu’à la fin de ce chapitre du grand livre de l’économie, la page suivante était totalement vierge, personne n’ayant encore suivi le processus au grand complet.»

La Fed est persuadée que ces déséquilibres se résorberont graduellement. Les consommateurs freineront leurs dépenses et accroîtront leurs épargnes à mesure qu’elle haussera les taux d’intérêt. L’appétit des étrangers à l’égard des produits américains augmentera. Le moteur de la croissance économique changera de vitesse, passant doucement des dépenses des consommateurs et de l’État aux investissements des entreprises et aux exportations.

Néanmoins, une poignée d’économistes pressentent un scénario plus sombre. Certaines affirment que la Fed a simplement remplacé la bulle boursière par une bulle immobilière qui pourrait bien éclater. Cette situation pourrait miner les dépenses de consommation que le refinancement hypothécaire et les prêts sur valeur domiciliaire ont alimentées. Ou encore, les investisseurs étrangers pourraient bouder les actions et obligations américaines, ce qui ferait plonger le dollar et grimper l’inflation, poussant la Fed et le marché obligataire à redresser brusquement les taux d’intérêt. Dans un cas comme dans l’autre, l’économie américaine ralentirait considérablement ou s’enfoncerait dans une récession.

 

Le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a ouvert la voie à un changement dans l’énoncé des messages, à la mi-février, en évitant d’employer les termes «accommodante» et «mesuré» lors de son témoignage sur la politique monétaire devant le Congrès.

Crever la bulle ?

Confrontée à une bulle d’actifs, une banque centrale n’a qu’une alternative : la crever aussitôt ou attendre qu’elle éclate d’elle-même en essayant de limiter les dégâts. En 1929 et  en 1989, la Fed et la Banque du Japon ont tour à tour adopté la première solution, haussant les taux d’intérêt en réponse à l’explosion des prix des actions et de l’immobilier, respectivement. Mais les résultats ont été catastrophiques dans les deux pays. Dans les années 1930, les États-Unis étaient plongés dans la dépression et la déflation. Quant au Japon, il a sombré dans une stagnation et une déflation qui s’éternisent. Au cours des années 1990, le président de la Fed, Alan Greenspan, a choisi la seconde solution. Tant que les prix des biens et services demeureraient stables, il n’interviendrait pas dans le marché boursier. Lorsque la bulle a finalement éclaté, la Fed a réduit énergiquement les taux d’intérêt à court terme dès 2001, les maintenant à 1 %, leur plus bas niveau depuis 45 ans, jusqu’au début de 2004, jugeant alors que tout risque de déflation s’était estompé.

 


Article reproduit suite à une permission obtenue de The Wall Street Journal Copyright©2005, Dow Jones & Company Inc., tous droits réservés.