/  01 septembre 2017

Les défis insoupçonnés du liquidateur successoral

Désigné pour régler la succession, le liquidateur a un rôle exigeant et peu connu. Avant de le nommer dans votre testament ou d’accepter ce mandat, prenez connaissance des nombreuses responsabilités qui lui incombent.

Lorsqu’une personne décède, son liquidateur, autrefois appelé « exécuteur testamentaire », hérite d’un lourd fardeau : il doit accomplir une multitude de tâches administratives et juridiques en respectant les contraintes imposées par la loi, tout en gardant à l’esprit les volontés du défunt et les intérêts des héritiers. Considérant que le règlement d’une succession se déroule souvent sur plusieurs mois, voire des années, qu’il faut jongler avec des notions juridiques, fiscales et financières – en plus de ses propres émotions et de celles des proches – et qu’on doit traiter avec une panoplie d’institutions (banques, ministères, assureurs, etc.), on comprendra que c’est un rôle à ne pas prendre à la légère.

Comment choisir votre liquidateur ?

La personne doit être majeure et capable d’exercer ses droits civils. De plus, elle doit faire preuve d’honnêteté, de rigueur et de bon jugement, car elle aura beaucoup de décisions à prendre. En outre, elle doit avoir du temps à consacrer à sa tâche. Désignez aussi son remplaçant, voire un troisième choix, au cas où la personne désignée refuserait ou serait malade ou décédée. Précisez que vous lui donnez la « pleine administration » de vos biens, sinon ses pouvoirs seront limités (par exemple, elle ne pourrait pas vendre votre propriété sans l’autorisation des héritiers). S’il n’y a pas de désignation dans le testament, tous les héritiers sont liquidateurs ; ils peuvent nommer une personne à ce titre par un accord majoritaire.

Vous êtes nommé liquidateur. Êtes-vous tenu d’accepter ce rôle ?

Le seul cas où vous êtes tenu d’accepter, c’est si vous êtes l’unique héritier. Autrement, vous avez le droit de refuser cette charge ; vous pouvez aussi démissionner en cours de mandat. Si le testament ne prévoit pas de remplaçant et que les héritiers n’arrivent pas à un accord majoritaire, le tribunal en nommera un. Le liquidateur a le droit de se faire assister dans l’exercice de son mandat, par ses proches autant que par des professionnels (notaire, avocat, comptable, fiscaliste, etc.).

Quelles sont les tâches du liquidateur ?

Dès le décès, il doit veiller à la réalisation des étapes suivantes, entre autres :

  • Obtenir les documents officiels. Certificat ou acte de décès, contrat de mariage ou d’union civile, jugement de divorce, polices d’assurance-vie, etc. Ils sont essentiels pour régler diverses étapes de la succession.
  • Donner avis du décès aux fournisseurs de services et aux entités gouvernementales.
  • Mettre la main sur le dernier testament. Seul le dernier testament est valide. Pour le trouver, il faut fouiller le domicile du défunt, son coffret de sûreté, questionner l’entourage… Qu’on en trouve un ou pas, il est nécessaire de déposer une demande de recherche testamentaire à la Chambre des notaires du Québec et une autre au Barreau du Québec, afin de voir s’il existe des testaments enregistrés. Si le plus récent testament n’est pas notarié, on doit le faire vérifier, c’est-à-dire en faire confirmer officiellement l’authenticité.
  • S’inscrire aux registres. Le liquidateur ayant accepté son rôle doit s’inscrire au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) et, s’il y a un immeuble en jeu, au Registre foncier du Québec.
  • Identifier les successibles, soit les gens susceptibles de devenir héritiers, et communiquer avec eux. Si un testament valide existe, c’est ce document qui prévaut. En l’absence de testament, le Code civil désigne les successibles.
  • Dresser l’inventaire de la succession. Le liquidateur doit lister :
    • les biens du défunt : propriétés, véhicules, meubles, comptes bancaires, REER, FERR, CELI, régimes de retraite, etc. ;
    • ses dettes : impôts, emprunts, marges de crédit, hypothèques, factures de services ;
    • les sommes qui lui sont dues : assurances-vie, prestations, salaire, créances personnelles, etc.

S’il y a un conjoint survivant marié ou uni civilement, le liquidateur doit tenir compte du partage du patrimoine familial et de la liquidation du régime matrimonial, ainsi que du droit à la prestation compensatoire. Les sommes en jeu peuvent faire varier considérablement l’actif ou le passif de la succession. Par ailleurs, le conjoint légal et les enfants pourraient réclamer une pension alimentaire.

Dresser l’inventaire peut être un sérieux casse-tête, à moins que le testateur ait eu la prévoyance de faire un bilan patrimonial. Étant donné que les héritiers doivent accepter ou refuser la succession dans les six mois du décès, l’inventaire doit être finalisé à l’intérieur de ce délai. En principe, les héritiers ne peuvent pas être tenus responsables des dettes du défunt au-delà de la valeur des biens qu’ils en ont reçus ; toutefois, s’ils dispensent le liquidateur de dresser l’inventaire, cette limite est levée. Ainsi, si la succession se révélait déficitaire, ou si des dettes se déclaraient après son règlement (pensons à une poursuite pour vices cachés de la propriété du défunt, par exemple), ils pourraient devoir payer les sommes dues, même au-delà de la valeur des biens reçus.

Une fois l’inventaire terminé, le liquidateur doit publier un avis de clôture d’inventaire au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) et dans un journal de la localité de résidence du défunt. Cet avis permet aux créanciers qui ne seraient pas encore identifiés de se manifester.

  • Payer les impôts. C’est au liquidateur de produire les déclarations de revenus de la personne décédée pour l’année du décès et celles de la succession. Afin de tirer parti des avantages fiscaux et d’éviter les faux pas coûteux, il sera avisé de s’en remettre à un expert. Une fois les impôts payés, le liquidateur doit obtenir le Certificat de décharge (au fédéral) et le Certificat autorisant la distribution des biens d’une succession (au provincial) avant de payer les dettes et de distribuer le résidu des biens de la succession. Ces documents sont cruciaux, car sans eux, il risque d’être tenu personnellement responsable des dettes fiscales du défunt. Notons que le certificat provincial n’est pas nécessaire lorsque les sommes sont inférieures à 12 000 $.
  • Payer les dettes et remettre les legs. Lorsqu’il a en main les deux certificats des autorités fiscales, le liquidateur gère la suite selon l’un des trois scénarios suivants.
    • Si la succession est manifestement solvable, c’est-à-dire que les biens sont largement suffisants pour couvrir les dettes : le liquidateur rembourse les créanciers et remet les legs à titre particulier (les biens spécifiques légués à quelqu’un, par exemple « je lègue ma moto à mon ami Éric »).
    • Si la succession est non manifestement solvable, c’est-à-dire qu’un doute subsiste sur son issue financière : il doit attendre 60 jours après l’inscription de l’avis de clôture d’inventaire avant de distribuer les legs et de rembourser les dettes.
    • Si la succession est manifestement insolvable : une grande prudence est de mise. Le liquidateur doit préparer une proposition de paiement aux créanciers, qui sera homologuée par le tribunal. Dans cette situation, il devrait sans aucun doute faire appel à un conseiller juridique.

Dans tous les cas, les héritiers (qui, eux, reçoivent une part de l’héritage) doivent attendre la fin de la liquidation pour recevoir leur dû.

  • Distribuer les biens de la succession. Toujours sous réserve d’avoir obtenu les deux certificats, le liquidateur procède enfin au partage de la succession. Si l’un des héritiers est mineur, un conseil de famille pourrait devoir être formé ; si sa part est de plus de 25 000 $, le liquidateur doit en aviser le curateur public.
  • Faire la reddition des comptes. Le liquidateur rend un compte détaillé aux héritiers de l’administration qu’il a faite des biens depuis l’inventaire. Si la liquidation dure plus d’un an, cette étape doit être répétée annuellement ainsi qu’à la fin du processus. Quand le dernier bilan est accepté par les héritiers, le liquidateur est déchargé de son rôle.
  • Publier un avis de clôture du compte au RDPRM.

Le liquidateur a-t-il droit à une rémunération ?

Oui, il y a droit, sauf dans le cas suivant : il est l’un des héritiers, le testament ne prévoit pas de rémunération et les héritiers n’arrivent pas à s’entendre à ce sujet. Dans une telle situation, le liquidateur ne peut pas exiger de rémunération. Par contre, un liquidateur non-héritier a toujours droit à une rémunération, qui sera fixée, si le testament ne l’indique pas, par les héritiers ou par le tribunal. Il est donc préférable, lorsqu’on rédige son testament, d’y préciser la compensation voulue, en tenant compte que ce revenu est imposable pour lui. Par ailleurs, soulignons que le liquidateur a toujours droit au remboursement, par la succession, des dépenses raisonnables qu’il engage pour exécuter son mandat.

La liquidation d’une succession, même simple, comporte de nombreuses obligations et peut avoir de sérieuses conséquences. Comme testateur ou comme liquidateur, informez-vous et n’hésitez pas à vous faire conseiller par des professionnels compétents.