/  18 septembre 2007

Les crises se succèdent et se ressemblent…

Dans sa grande sagesse, le père de la physique moderne a écrit un jour que, «capable de grande réalisation, l’être humain peut parfois devenir irrationnel, à un point tel qu’il commet de graves erreurs, pour ne pas dire des bêtises ».

La pertinence de la remarque d’Einsteina été de nouveau confirmée cet été, alors qu’une nouvelle crise financière s’est inscrite dans une longue suite comprenant entre autres la première panique boursière de septembre 1903, la Grande Dépression des années 30, la crise asiatique de 1997 et le dégonflement de la bulle des technos, en 2000. Les marchés financiers seraient-ils donc condamnés à l’instabilité perpétuelle ?

Il est effectivement possible de noter que, suivant des périodes plus ou moins longues, les marchés financiers se concentrent successivement sur certains actifs comme les secteurs boursiers, l’immobilier, les matières premières, etc. Règle générale, ceux qui sont « à la mode » à une période précise sont ceux qui connaissent des innovations. Il en résulte une bulle, c’est-à-dire une sorte de phénomène de masse – ou effet d’imitation – qui pousse le marché à l’exagération. En effet, attirés au départ par des perspectives de gains, les investisseurs se comportent de façon telle qu’ils enflamment eux-mêmes le marché, engendrant du même coup une escalade.

L’émergence de bulles n’est pas étrangère au fait que les investisseurs sont obnubilés par le court terme et l’appât du gain. Malheureusement, tôt ou tard, la réalité les rattrape : la demande se tarit et un grand nombre d’investisseurs cherchent à sortir rapidement du marché, amplifiant cette fois le mouvement à la baisse.

Le plus étonnant dans la crise actuelle, c’est sans contredit l’éventail de gens qui sont tombés dans le panneau : les ménages, les prêteurs hypothécaires, les institutions financières, les fonds spéculatifs (hedge funds), les agences de notation et les investisseurs. À la limite, on pourrait même blâmer les banques centrales qui n’ont rien fait pour empêcher les abus, alors que leur rôle est précisément d’assurer la stabilité des marchés financiers. De fait, elles se sont contentées de réagir à la crise.

Il est cependant heureux qu’elles aient été beaucoup plus rapides à réagir que lors des crises américaines du crédit de 1966, 1970 et 1974. Cette fois-ci, les autorités monétaires de plusieurs grandes économies ont vite injecté des centaines de milliards de dollars américains pour enrayer le manque de liquidités, en plus d’adoucir temporairement leur politique monétaire. Certaines ont même secouru des institutions financières en difficulté. Une question demeure toutefois : auraient elles dû désamorcer la situation avant que le choc ne survienne ?

Anatomie de la crise

La crise du crédit de 2007 a pris naissance aux États-Unis, où des prêteurs hypothécaires à risque (c’est-à-dire qui ne sont pas soumis aux lois bancaires) ont voulu accroître leurs profits à court terme. Leurs mandats étant d’accorder des prêts immobiliers à des ménages à bas revenus mais solvables, ces prêteurs en sont venus à se tourner vers des ménages plus vulnérables, souvent sans vérifier la capacité de remboursement de ces derniers.

Tant que les prix de l’immobilier montaient et que la revente était facile, tout allait bien. Mais le ralentissement économique et la hausse des taux d’intérêt américains ont changé la donne. Dès lors, un très grand nombre de ménages qui n’auraient jamais dû obtenir un prêt hypothécaire ont été forcés de remettre leurs clés de maison à leurs créanciers. Par ricochet, le marché du crédit hypothécaire à risque s’est retrouvé sous haute tension, et les inquiétudes des investisseurs ont eu un impact sur d’autres segments du crédit. Rapidement, il est devenu évident que plusieurs institutions financières ont fait preuve d’imprudence en prêtant de l’argent aux organismes de crédit hypothécaire américains ou en vendant à leurs clients des produits financiers rémunérateurs, certes, mais risqués. C’est le cas de plusieurs banques américaines et d’autres institutions internationales parmi lesquelles figurent BNP Paribas en France, IKB en Allemagne et Coventree au Canada.

Par la suite, il a été possible d’apprendre que des titres adossés au marché du crédit hypothécaire ont été massivement achetés par des fonds spéculatifs établis dans des paradis fiscaux et échappant à toute réglementation, d’où la difficulté d’évaluer précisément l’ampleur du problème.

Autre phénomène troublant, les institutions financières offrant des fonds principalement investis dans le crédit hypothécaire ont mal informé les investisseurs des risques liés à l’achat de ces produits. Alors que ces derniers étaient souvent présentés comme des titres du marché monétaire (la classe d’actif la moins risquée), on constate aujourd’hui, avec un peu de recul, qu’ils ne portaient manifestement pas la bonne étiquette.

Enfin, d’autres acteurs cruciaux ont aussi manqué de flair. Les agences de notation, chargées de mettre en garde les investisseurs contre les risques, sont accusées d’avoir mal évalué ceux liés au crédit hypothécaire. Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s ont même abaissé tardivement les cotes de ces titres, après les premières déconfitures d’établissements de crédit aux États-Unis.

Les retombées de la crise

Évidemment, la complexité et la gravité de cette crise ont alarmé les gouver-nements et d’autres instances, et ce, d’autant plus qu’une récente étude a conclu qu’un choc semblable pourrait survenir en Espagne, en Irlande et au Royaume-Uni. Comme lors des crises précédentes, ces intervenants tenteront de corriger la situation ; au besoin, ils légiféreront.

À titre d’exemple, l’Union européenne a déjà amorcé une enquête afin d’identifier des agences de notation susceptibles de s’être placées en situation de conflit d’intérêts, en dépit de leur obligation d’impartialité. De son côté, le G7, qui s’inquiète depuis longtemps du manque de transparence des fonds spéculatifs, risque de remettre l’encadrement de ces produits financiers à l’ordre du jour. Cette probabilité est d’autant plus grande que, dans le cas présent, la complexité de l’ingénierie financière des produits liés aux titres hypothécaires à risque explique en bonne partie l’aveuglement des principaux acteurs. Quant au gouvernement américain, il a adopté une loi qui définit les conditions minimales qu’un ménage doit rencontrer pour obtenir un prêt hypothécaire.

Quelle leçon doit-on tirer de ces événements ? La réponse est très simple : la même que celle enseignée par les crises passées, à savoir bien diversifier son portefeuille de placements, suivre un plan de match à long terme et, surtout, ne pas paniquer et vendre au creux du marché. S’il est inévitable que des chocs secouent périodiquement les marchés financiers, il ne faut jamais perdre de vue que ce qui apparaît catastrophique au moment de l’impact finit toujours par se résorber… et être oublié.