/  01 mai 2018

L’endettement public excessif : attention, danger !

Depuis plusieurs décennies, les déficits gouvernementaux et l’endettement public alimentent au sein de la société, en particulier parmi les experts et les élus, des réflexions, des discussions et des débats qui s’intensifient.

Déjà en 1996, un document du ministère des Finances du Québec (L’évolution des finances publiques au Québec, au Canada et dans les pays de l’OCDE) signalait que la situation financière des provinces canadiennes et du gouvernement fédéral s’était détériorée au fil des ans. Depuis le début des années 1980, la dette de l’ensemble des provinces en proportion de leur produit intérieur brut (PIB) avait plus que doublé, passant de 12,7 % à 30,6 % en 1996.

Durant cette période, la dette du Québec par rapport au PIB avait plus que doublé, tandis que celle du gouvernement fédéral était passée de 27,4 % à 74 %.

L’endettement public est intimement lié aux déficits budgétaires. Au Québec, ceux-ci alimentent la dette de la province depuis le milieu des années 1970. Or, plus ils se creusent, plus les besoins de financement augmentent, plus les emprunts sur les marchés financiers sont utilisés, plus les intérêts à payer sont élevés et plus la dette prend de l’importance. La capacité d’emprunter sur les marchés financiers est tributaire de la solidité financière qu’évaluent régulièrement les agences de notation. Dès lors que sa capacité de remboursement est affaiblie, l’État voit sa cote de crédit abaissée et le coût de sa dette (intérêts) augmenté.

Les avis sont nombreux et variés sur les déficits et l’endettement public. Certains affirment que la dette n’est pas en soi une mauvaise chose si elle est maintenue dans une proportion raisonnable et contrôlée; d’autres estiment au contraire que l’État doit cesser de payer ses dépenses d’épicerie avec une carte de crédit afin de ne pas compromettre davantage l’avenir des générations futures.

Peu importe l’école de pensée, force est de reconnaître qu’un endettement excessif dépasse la juste mesure et qu’il faut s’en préoccuper. Même s’il y a un « certain consensus » sur le fait que l’état des finances publiques fédérales et provinciales est loin d’être paniquant, les différents gouvernements ont finalement décidé de s’y attaquer, chacun à sa façon et à sa vitesse.

Le Québec l’a fait d’une façon très marquée, il y a 22 ans maintenant, en imposant le déficit zéro dans une loi adoptée à l’unanimité de l’Assemblée nationale. Cependant, cette loi antidéficit a dû être modifiée afin de permettre au gouvernement de déposer un budget lourdement déficitaire en 2009-2010 et d’afficher temporairement des déficits jusqu’en 2013, compte tenu de la crise économique qui sévissait. En clair, la loi qui oblige l’État à alléger le poids de sa dette (afin qu’il représente 45 % du PIB en mars 2026) n’a pas empêché le gouvernement de faire des déficits à 12 reprises depuis son adoption jusqu’en 2013-2014.

C’est pour mettre un terme à la spirale de l’endettement et pour résoudre un problème d’équité intergénérationnelle que le Québec a adopté, en 2006, la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (article sur le sujet à paraître dans le prochain numéro).

De 2009 à 2015, la dette du Québec a progressé plus rapidement que le produit intérieur brut (PIB), principalement en raison de la dégradation des infrastructures qui a contraint le gouvernement à mettre en œuvre un plan de réfection titanesque de 70 milliards de dollars. Depuis 2015, alors que la dette accaparait 55 % du PIB (un sommet), le gouvernement a réalisé deux surplus budgétaires qui ont totalisé 8 milliards de dollars en 2015-2016 et 2016-2017. Dans son budget 2017-2018, il a confirmé son intention d’accumuler des surplus de 36 milliards de dollars au cours des neuf prochaines années.

Du côté fédéral, où une loi antidéficit est également en vigueur, la plus récente Mise à jour des projections économiques et budgétaires à long terme du ministre des Finances signale que le Canada pourrait afficher des déficits annuels pendant encore au moins      35 ans, jusqu’en 2050-2051. Le cas échéant, la dette pourrait doubler d’ici 2050-2051 et dépasser les 1 500 milliards de dollars.

Les projections des auteurs font état de déficits de 25 milliards de dollars en 2025-2026, de 36,4 milliards de dollars en 2030-2031, de 38,8 milliards de dollars en 2035-2036, de 33,9 milliards de dollars en 2040-2041, de 21,6 milliards de dollars en 2045-2046, et de 2,2 milliards de dollars en 2050-2051. Selon eux, un surplus budgétaire de 26,5 milliards de dollars pourrait être réalisé en 2055-2056.

Dans sa dernière mise à jour économique, le ministre des Finances du Canada a fait état d’un déficit de 25,1 milliards de dollars en 2017 et de déficits annuels décroissants par la suite pour atteindre 14,6 milliards de dollars en 2021-2022.

Aux fins de l’information budgétaire et financière qu’il produit et publie, le gouvernement du Québec utilise la dette brute, la dette représentant les déficits cumulés (la « mauvaise dette »), la dette nette et la dette de l’ensemble du secteur public. Ailleurs au Canada, plusieurs concepts de dette sont utilisés par les gouvernements pour mesurer l’endettement.

Dans la section du Plan économique du Québec de mars 2017, le ministère des Finances signale que « l’analyse des documents budgétaires des gouvernements fédéral et provinciaux montre que les concepts de dette retenus pour évaluer la situation financière varient beaucoup ».

De son côté, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), dans son portail d’information Le Québec économique, mentionne qu’« en raison d’une réforme de la comptabilité gouvernementale du Québec, les données antérieures à 1997-1998, à 2006-2007 et à 2009-2010 ne peuvent être comparées directement avec celles des années suivantes (ministère des Finances du Québec) ».

Ces remarques constituent un appel à la prudence lorsqu’il s’agit de comparer les performances des gouvernements entre eux, et ce, d’autant plus qu’il faut tenir compte non seulement des différences entre leurs méthodes comptables, mais aussi des explications d’ordre conjoncturel ou structurel pour justifier leurs déficits respectifs.

Il n’en reste pas moins que le niveau d’endettement public demeure préoccupant. Le ministre des Finances du Québec l’a d’ailleurs reconnu dans son dernier plan économique : « Sur la base de la dette brute et en pourcentage du PIB, le Québec est la deuxième province la plus endettée après Terre-Neuve-et-Labrador. Le Québec est cependant la province la plus endettée sur la base de la dette représentant les déficits cumulés ».

Cette situation commande des mesures énergiques appliquées avec détermination et persévérance, car des perturbations démographiques et économiques majeures pourraient compromettre les progrès réalisés à ce jour.

Sur le plan démographique, le vieillissement de la population se poursuit alors que le Canada compte, pour la première fois de son histoire, davantage de personnes âgées de 65 ans et plus que d’enfants âgés de 15 ans et moins. Les besoins accrus en santé des baby-boomers à la retraite ou sur le point de la prendre génèrent des dépenses susceptibles d’exploser, compte tenu de la courbe démographique du Québec. Outre ce phénomène qui risque d’ailleurs d’être plus important ici que dans le reste du Canada, l’éducation va requérir des investissements publics massifs, tout comme les infrastructures dont la mise à niveau ou le remplacement sont loin d’être complétés.

Sur le plan économique, le niveau de l’endettement mondial dépasse actuellement, selon le chroniqueur Gérard Bérubé, « son niveau d’avant-crise alors que les banques centrales ont, en définitive, poussé leur assouplissement monétaire à la limite de leur capacité d‘intervention. La montée du populisme et du repli sur soi augmente le risque d’un choc de plus forte ampleur que la Grande Récession[1] ». Au Québec comme ailleurs au Canada, aux États-Unis et en Europe, « le populisme est toujours un brin tentant. Il est comme de la drogue pour le cerveau. Il simplifie tout[2] ». Qu’il soit de droite ou de gauche, ses slogans sont sans nuances et ses solutions, réductrices.

Des experts ont conclu que, depuis la fin de la crise économique mondiale des années 2007-2012, l’endettement combiné des ménages, des entreprises non financières et des gouvernements ne s’est pas résorbé. Un risque important pèse donc sur la croissance économique future, compte tenu de la capacité limitée de beaucoup de gouvernements à répondre à une nouvelle crise.

Dans un contexte d’endettement excessif, toutes sortes de mesures peuvent certes être prises pour corriger la situation. Le hic, c’est qu’elles ont généralement des effets secondaires néfastes à court terme. Il vaut donc mieux prévenir que guérir.

[1] BÉRUBÉ, Gérard. « Endettement excessif et montée du populisme, un cocktail explosif », Le Devoir, 20 décembre 2016.

[2] BEAULIEU, Carole. « Les pièges du populisme », L’actualité, 5 novembre 2010.