/  18 juin 2005

L’élimination de la limite de 30 % sur le contenu étranger des régimes de retraite : la prudence est de mise !

Dans son budget de février 2005, le gouvernement du Canada a annoncé l’élimination immédiate de la limite de 30 % sur le contenu étranger des divers régimes de retraite (REER, FERR, CRI, Fonds de pension, etc.). Dans cet article, nous abordons les conséquences de cette décision qui a surpris la grande majorité des acteurs de l’industrie du placement au Canada.

Un peu d’histoire

Cette limite, instituée en 1971, était initialement de 10 %. Elle a été augmentée à 20 % en 1994, à 25 % en 2000, puis à 30 % en 2001. L’implantation de cette limite était basée sur le principe suivant : étant donné que le gouvernement fédéral accordait à des contribuables le privilège de différer l’imposition d’une partie de leurs revenus, ces derniers devaient en contrepartie aider l’économie canadienne, en investissant au pays leurs épargnes pour la retraite.

Le pour et le contre

Les défenseurs du maintien de cette limite alléguaient que son abolition ou sa hausse entraînerait une chute du dollar canadien et un exode des capitaux, ce qui aurait des conséquences négatives sur l’économie canadienne en général, d’une part, et sur la capacité des entreprises à recueillir les capitaux qui leur sont nécessaires, d’autre part.

Au fil des ans, plusieurs voix se sont élevées pour réclamer l’abolition de cette limite. De nombreuses études ont en effet démontré que si les Canadiens investissaient une plus grande part de leur épargne-retraite à l’étranger, ils bénéficieraient d’une plus grande richesse, une conséquence qui compenserait plus que largement la fuite potentielle des capitaux. De plus, des spécialistes allèguent qu’en maintenant cette limite, le gouvernement canadien prive les Canadiens d’une foule d’occasions d’investissement susceptibles de faire fructifier leurs capitaux, tout en les obligeant à se replier sur un pays qui ne représente que 3 % de la capitalisation boursière et obligataire mondiale.

Pourquoi l’abolition ?

À la lumière du débat en cours dans les divers milieux financiers et politiques, plusieurs spécialistes et observateurs s’interrogent sur les raisons qui ont incité le gouvernement fédéral à éliminer ce plafond, et ce, contre toute attente. Malheureusement, le discours sur le budget du 23 février 2005 ne fournit que bien peu d’explications, comme en témoigne l’extrait suivant : « À l’heure actuelle, les REER et les régimes de pension sont assujettis à un plafond de 30 % applicable aux placements en biens étrangers. Afin d’élargir l’horizon d’investissement des Canadiens, de diversifier leurs placements et de solidifier l’assise de leur avenir financier, nous abolissons ce plafond. »

Il est cependant de commune connaissance que l’imagination des institutions financières avait rendu cette limite quasi inopérante. En pratique, il leur était possible de détenir jusqu’à 51 % de titres étrangers. Comment ? En créant, avec leur propre 30 %, un effet cumulatif dans leurs portefeuilles de fonds diversifiés canadiens qui détenaient eux-mêmes 30 % de tels titres (30 % + [30 % des 70 %] de contenu canadien). De plus, en acquérant des contrats à terme canadiens sur des produits étrangers ou des fonds d’investissement utilisant ces produits, il n’existait pratiquement plus de limitation au contenu étranger de l’épargne-retraite.

Le seul inconvénient de ces techniques réside dans le coût additionnel à supporter, ces outils étant généralement plus onéreux qu’un investissement direct dans les mêmes marchés. Il faut être toutefois conscient que le passage de 20 à 30 % (avec une possibilité réelle d’atteindre 51 % et plus) règle le problème d’une majorité d’investisseurs individuels. En effet, les études et sondages effectués auprès de ces derniers montrent que seulement 5 % des détenteurs de REER se prévalent pleinement de la limite actuelle. Ce phénomène est facile à expliquer : ces investisseurs aiment effectuer des placements dans des sociétés qu’ils connaissent et qu’ils peuvent suivre, et ils maîtrisent mal les fluctuations des taux de change qui influent directement sur les rendements de leurs portefeuilles investis à l’étranger.

On peut également présumer que, face à la croissance anticipée de l’actif de l’Office d’investissement du Régime de pension du Canada1, actif qui devrait totaliser plus de 300 milliards de dollars d’ici 15 ans, le gouvernement a souhaité libérer cet organisme de la contrainte du 30 % quant au contenu étranger.

Il faut rappeler qu’avant 1996, le Régime de pension du Canada était peu capitalisé. Les cotisations des générations présentes servaient alors à payer les prestations des générations passées, une situation qui se traduisait par plus ou moins de surplus. Or, des études actuarielles ont démontré qu’en raison du vieillissement de la population, cette approche risquait de mener tout droit à la faillite du régime. En conséquence, le gouvernement fédéral, de même que les gouvernements provinciaux concernés, ont réagi en haussant le niveau des cotisations afin de capitaliser convenablement le régime. De plus, un Office d’investissement a été créé pour gérer ces sommes. À l’instar de toutes les caisses de retraite canadiennes, cet organisme était contraint d’investir 70 % de ses actifs au Canada. Compte tenu des désavantages inhérents à cette situation, il y a fort à parier que l’abolition du plafond de 30 % s’appuie sur deux raisons :

a) une volonté de permettre au Régime de pension du Canada de bénéficier des meilleurs rendements possibles ;

b) le pouvoir qu’un organisme de la taille de l’Office aurait eu sur les marchés.

Les conséquences pour les entreprises et les marchés financiers

Bien que la majorité des observateurs soient d’avis que cette mesure ne peut avoir que des bénéfices à long terme sur l’enrichissement des Canadiens, qu’en est-il de son impact sur les entreprises et sur les marchés financiers ?

Il y a tout lieu de croire que les futurs investisseurs, qui auront été éduqués dans le contexte de la mondialisation, feront fi des questions de proximité et maîtriseront mieux les phénomènes qui influencent les variations des taux de change. Nos entreprises et nos marchés financiers devront plus que jamais être en mesure d’offrir des opportunités d’investissement et des rendements tout aussi intéressants que leurs concurrents internationaux. Sinon, le jeu de l’offre et de la demande régularisera la situation et forcera nos entreprises (ou notre devise) à payer les coûts découlant de ce manque d’intérêt. Même si toutes les entreprises canadiennes ne s’adapteront pas nécessairement à cette nouvelle réalité, notre économie, elle, devrait normalement le faire, tout comme elle l’a fait dans le passé, pendant des périodes de mutations importantes.

À court terme, les spécialistes ne s’entendent pas sur l’impact de cette mesure sur les marchés. Plusieurs sont d’avis qu’elle entraînera un déplacement massif des investissements canadiens vers les marchés étrangers, ce qui créera une forte pression à la baisse sur les actions des sociétés canadiennes, tout en accroissant leurs difficultés de financement et en détériorant leurs multiples.

D’autres, au contraire, pensent que les marchés canadiens ont généré des rendements enviables au cours des dernières années et que l’exode anticipé sera évité en raison du contexte économique mondial, dans lequel les titres du secteur des matières premières sont en forte demande. Et même si cet exode ne pouvait pas être évité, le jeu de l’offre et de la demande favorisera l’entrée de nouveaux capitaux étrangers, et ce, d’autant plus si les multiples
des entreprises canadiennes et le dollar sont à la baisse.

Doit-on se prévaloir de cette nouvelle marge de manœuvre ?

Nous voici au cœur du débat et, une fois de plus, les spécialistes ne s’entendent pas. Les partisans de l’investissement à 100 % à l’étranger affirment que les investisseurs canadiens devraient avoir l’opportunité d’investir là où les rendements sont les meilleurs et que toute contrainte réduit le rendement. À l’opposé, ceux pour qui la limite de 30 % est déjà trop élevée avancent qu’en investissant au Canada, les investisseurs favorisent la création d’entreprises solides et qu’ils en bénéficient directement.

Cependant, d’un côté comme de l’autre, on oublie probablement deux vérités du monde de l’investissement :

• premièrement, le Canada possède plusieurs atouts non négligeables sur le plan économique, entre autres celui de la performance de nos entreprises qui est similaire à celle de la concurrence mondiale. On semble oublier souvent que l’économie canadienne s’est classée parmi les meilleures du G7 au cours des dernières années ;

• deuxièmement, bien que des investissements au niveau mondial procurent, grâce à la diversification, des avantages non négligeables, ceux-ci ne sont pas sans limite. En effet, dans un portefeuille constitué exclusivement de titres canadiens, l’ajout de valeurs étrangères, lesquelles sont en soit plus risquées, permet de bonifier le rendement global sans en augmenter proportionnellement le niveau de risque. Toutefois, cette théorie ne tient plus à partir d’un certain niveau, où chaque unité de risque n’est pas nécessairement compensée par une unité de rendement additionnelle. Il y a donc un équilibre à établir entre le niveau de risque d’un portefeuille et sa composition. Ainsi, des études démontrent qu’une répartition de 65 % en contenu canadien et de 35 % en contenu étranger représente le meilleur rapport risque-rendement.2

La prudence est de mise

En conclusion, bien que l’élimination de la limite de 30 % sur le contenu étranger soit fondamentalement une bonne chose, nous croyons que toute décision relative à un investissement devrait reposer sur une analyse sérieuse du risque par rapport au rendement espéré plutôt que d’être guidée par une modification de l’environnement externe comme un changement législatif. Nous vous invitons à revoir la composition de votre portefeuille à la lumière de ces changements, tout en gardant à l’esprit les avantages et les risques des investissements étrangers.

1 Organisme chargé de faire fructifier les avoirs du Régime de pension du Canada. Il est l’équivalent canadien du Régime des rentes du Québec.
2 Source : RBC Groupe Financier ; voir l’édition de mars 2005 du magazine Objectif Conseiller.