/  05 mars 2020

Les millénariaux chinois : quelles répercussions pour l’économie de la Chine?

Depuis l’année dernière, les pourparlers entourant la négociation d’un nouvel accord commercial entre la Chine et les États-Unis dominent les nouvelles financières.

Deux puissances – deux styles

Au cœur de ces affrontements réside un enjeu crucial : la taille des exportations nettes de biens chinois vers les États-Unis. Alors que le déficit commercial de l’économie américaine par rapport à la Chine se chiffrait à 6 millions de dollars en 1985, il a atteint près de 420 milliards de dollars en 2018 (figure 1). L’origine de ce phénomène s’explique, entre autres, par la disparité entre les habitudes d’épargne des populations des deux géants économiques : tandis que les ménages chinois sont des champions de l’épargne (37 % des revenus nets disponibles), les Américains affichent un taux d’endettement parmi les plus élevés au monde. Par ailleurs, la Chine détient 19 % de la dette étrangère des États-Unis. 

Ce phénomène se reflète de toute évidence dans les échanges commerciaux entre les deux pays. La population américaine continue de consommer à crédit les biens importés de Chine (articles électroniques, vêtements, chaussures, etc.) et contribue par le fait même à accentuer le déficit commercial américain. À l’opposé, la grande capacité d’épargne des Chinois permet de financer le surplus commercial du géant asiatique auprès de l’économie américaine.

FIGURE 1 — Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine : 420 milliards de dollars en 2018

 

Importations américaines
en provenance de Chine :
540 milliards de dollars Exportations américaines vers la Chine : 120 milliards de dollars
Principaux produits d’importation Principaux produits d’importation
Téléphones cellulaires : 77 milliards de dollars Produits aérospatiaux : 18 milliards de dollars
Ordinateurs : 60 milliards de dollars Produits chimiques : 16 milliards de dollars
Vêtements et chaussures : 50 milliards de dollars Véhicules automobiles : 6 milliards de dollars

 

Vers un renversement de tendance ?

Cependant, un changement démographique en cours pourrait transformer la nature des échanges commerciaux entre les deux économies et, du même coup, redéfinir la nature du conflit qui les oppose en ce moment : l’émergence économique des millénariaux chinois. Ce terme désigne la tranche de population chinoise née entre les années 1980 et 2000 qui représente aujourd’hui 400 millions de personnes.

Il est important de se rappeler que ce n’est qu’en 1978 que la Chine a entamé une série de réformes visant à réorienter son économie vers celle de marché et à ouvrir ses frontières aux échanges commerciaux internationaux. À cette époque, la Chine se trouvait essentiellement au stade de l’économie de subsistance où les pénuries et famines faisaient partie du quotidien. Ces réformes ont finalement permis au pays de connaître une période de prospérité sans précédent dans son histoire contemporaine.

La génération du millénaire a donc été la première à grandir dans une Chine prospère et présente aujourd’hui des habitudes de consommation drastiquement différentes des générations précédentes. Leur pouvoir d’achat inégalé remet aussi en question l’évolution du surplus commercial du pays dans les prochaines années.

En effet, les jeunes Chinois épargnent une portion beaucoup moins importante que leurs parents. Cette attitude s’explique premièrement par le fait que cette nouvelle génération demeure très optimiste quant à son avenir économique et beaucoup plus confiante quant à la croissance future de ses revenus comparativement aux générations antérieures.

L’exemple d’un jeune Chinois né en 1990 et qui possède aujourd’hui quelques années d’expérience sur le marché du travail permet d’illustrer ce phénomène. À sa naissance, le revenu national net ajusté par habitant s’établissant à 271 $US, le chiffre que la croissance économique du pays a propulsé à 6 568 $US en 2017, ce qui représente une progression de 2 228 % durant cette période. Même si le niveau de richesse en Chine demeure toutefois modeste par rapport aux économies développées, les jeunes Chinois ont grandi dans des conditions relativement prospères comparativement à leurs parents et grands-parents. Pour ces derniers, l’essentiel des dépenses était constitué des biens de première nécessité, et l’accumulation d’un coussin de sécurité représentait l’objectif financier principal.

Le contexte démographique inédit dans lequel se trouvent les millénariaux chinois constitue un second facteur qui les amène à dépenser une part plus importante de leurs revenus. En effet, craignant les dangers de la surpopulation, le gouvernement chinois avait mis en place, au début des années 1970, des politiques de planification familiale rigoureuses qui ont débouché sur le concept de l’enfant unique en 1979. Cette mesure accentuée par l’industrialisation rapide du pays s’est soldée par une diminution fulgurante du nombre de naissances par femme en Chine, passant de 6,4 enfants par femme en 1965 à 1,5 en 2000. Ainsi, les millénariaux chinois viennent des familles peu nombreuses, dont plusieurs sont constituées de quatre grands-parents, de deux parents et d’un seul enfant. Ce phénomène démographique profite aux jeunes qui bénéficient de façon disproportionnée de l’épargne accumulée par leur ascendance. La volonté des parents et des grands-parents d’offrir à leur progéniture tout ce à quoi ils n’avaient pas accès se traduit par la mise à leur disposition des ressources pécuniaires excessives. Leurs dépenses extravagantes financées à même l’épargne des générations précédentes, ainsi que leur penchant pour le luxe leur ont valu le surnom de « petits empereurs » en Chine.

La mondialisation et la balance commerciale

Autrefois isolée et exempte de toute influence étrangère, la Chine ouvre ses frontières économiques à la fin des années 1970. Les millénariaux chinois, dont plus de 90 % des membres possèdent un téléphone intelligent, ont donc grandi dans un monde numérique influencé par la culture occidentale. Fait intéressant : les 15 à 35 ans représentent aujourd’hui deux tiers des détenteurs de passeport en Chine.

Cette ouverture sur le monde se reflète immanquablement dans les choix des jeunes consommateurs : parmi les dix marques préférées de la génération du millénaire, six sont occidentales alors que quatre représentent des plateformes électroniques chinoises (figure 2). Cet appétit croissant pour les produits occidentaux avec une prédilection marquée pour les articles de luxe aura pour effet de stimuler les importations chinoises et finira par peser sur la balance commerciale au fur et à mesure que les jeunes Chinois consolideront leur place dans l’économie du pays.

FIGURE 2 — Les marques préférées des jeunes Chinois

 

1. Apple 6. Zara
2. WeChat 7. Nike
3. Alipay 8. UNIQLO
4. Taobao.com 9. Baidu
5. Adidas 10. H&M
Selon les résultats du sondage de la firme RTG (2017).

L’enjeu du déficit commercial substantiel des États-Unis envers la Chine demeure au cœur du conflit qui oppose actuellement les deux plus grandes économies. Il est cependant primordial de garder à l’esprit que malgré la taille de son économie, la Chine est un pays en pleine évolution, pour lequel l’industrialisation constitue un phénomène relativement récent. L’arrivée à l’âge adulte des millénariaux chinois pourra redéfinir la nature des échanges commerciaux de la Chine avec ses partenaires.