/  20 septembre 2010

Le miracle canadien ?

Le Canada est, de loin, le pays industrialisé qui a été le moins durement frappé par la dernière récession mondiale et celui qui affiche aujourd’hui la plus forte croissance économique. Si la récession est terminée, on entend pourtant parler depuis le début de 2010 que des problèmes financiers de certains pays européens et de la menace d’une nouvelle récession aux États-Unis. Assiste-t-on à un «miracle canadien» ?

Rappelons les faits. Le Canada a été le dernier des pays industrialisés à tomber en récession à l’automne 2008 et le premier à en émerger au printemps 2009. L’économie canadienne ne s’est contractée que de 3,3 % sur une période de trois trimestres.

Aux États-Unis, la récession a commencé un trimestre plus tôt en 2008 et s’est soldée par un recul de 3,8% du PIB américain. En France, en Allemagne et au Japon, la récession s’est étendue sur quatre trimestres avec des reculs du PIB semblables ou plus élevés. En Italie, la récession a duré cinq trimestres alors qu’elle s’est prolongée à six trimestres au Royaume-Uni.

Une reprise vigoureuse

Plus surprenant encore, la reprise économique qui a suivi la récession a été beaucoup plus vigoureuse au Canada que partout ailleurs dans le monde.  Ainsi, au quatrième trimestre de 2009, l’économie canadienne a connu une solide croissance de 5% alors que la plupart des pays occidentaux  – hormis les États-Unis avec un taux de croissance de 5,7% – ont affiché un bien timide retour à la croissance.

Le Canada s’est de nouveau distingué par rapport à ses semblables occidentaux au premier trimestre de 2010, lorsque son économie a enregistré un taux de croissance spectaculaire de  6,1%, contre 3% pour les États-Unis, 1,2% pour le Japon, 0,6% pour l’Allemagne, 0,4% pour la France et 0,3% pour l’Angleterre. Les 27 pays membres de l’Union européenne ont enregistré une croissance moyenne de seulement 0,2% pour la même période.

Toujours à titre comparatif,  le Canada a réussi à traverser la récession sans que son déficit budgétaire n’excède 3% de son PIB. Les États-Unis ont terminé l’année 2009 avec un déficit estimé à 1400 milliards de dollars, soit l’équivalent de 10% de leur PIB annuel. Pour 2010, les dernières prévisions américaines tablent sur un manque à gagner de 1555 milliards de dollars, soit encore 10 % du PIB.

Le même phénomène s’observe partout en Europe où les déficits vont encore dépasser largement cette année la barre des 3% du PIB d’à peu près tous les pays, que ce soit en France (8%), en Espagne (9,8%), en Grèce (9,3%), en Allemagne (5%) ou au Royaume-Uni (12%).

Le marasme européen et la crise financière en Grèce

Le fort ralentissement économique et la crise financière qui ont sévi en 2008-2009 ont poussé les gouvernements à dépenser massivement, tant pour sauver leur système financier que pour tenter de restaurer l’activité économique. Cependant, contrairement à ce qui s’est passé au Canada, la dernière récession a fait beaucoup plus de ravages dans le secteur de l’emploi en Europe, tout comme aux États-Unis d’ailleurs où le chômage a fait un bond de 6,1% contre seulement 1,8% au Canada. En Europe, le taux de chômage a franchi, pour la première fois depuis la création de la zone euro, le cap des 10% et il atteindra même cette année 20% en Espagne et 13% en Irlande et en Grèce.

Ce niveau de chômage record entraîne évidemment des coûts sociaux plus élevés pour les États européens tout en réduisant leurs rentrées fiscales, ce qui a aggrave considérablement  leurs déficits budgétaires. Toutefois, il reste que c’est sans contredit la situation particulière de la Grèce qui a surpris tout le monde. Lorsque le nouveau gouvernement socialiste grec a été élu à l’automne 2009, on apprenait que le déficit budgétaire pour 2009 allait représenter 12% de son PIB alors que le gouvernement précédent l’établissait à 3,7% seulement. Presque instantanément, l’État grec, qui cherche à financer le manque à gagner pour équilibrer ses livres, voit disparaître toutes ses sources de financement traditionnelles. Sa cote de crédit est ramenée à zéro, et aucun créancier ne veut prendre le risque de lui prêter de l’argent.

Une austérité coûteuse

Le gouvernement grec doit alors annoncer des mesures d’austérité draconiennes pour réduire son déficit afin de pouvoir emprunter à nouveau : augmentation de la taxe de vente à 21%; baisse des salaires de 30% des employés de l’État; gel des pensions et augmentation des taxes sur l’essence, le tabac et l’alcool.

En plus de créer le mécontentement généralisé, toutes ces mesures n’ont fait que mettre en péril la fragile reprise économique qui s’était amorcée au début de 2010. Surtaxés, les citoyens vont moins dépenser, tout comme les employés du secteur public dont on a coupé brutalement les salaires et les retraités qui n’ont droit à aucune indexation de leur pension.

Selon  Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, la Grèce a fait exactement ce qu’il ne fallait pas faire. «L’Europe a besoin de solidarité et d’empathie, pas d’une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression», a-t-il confié au journal Le Monde, en mai dernier, alors que la crise battait son plein.

Le problème est que l’explosion des déficits gouvernementaux en Europe ne se limite pas à la Grèce. Le Portugal (9,4%), l’Espagne (9,8%), la France (8%), l’Irlande (11,7%) et le Royaume-Uni (12%) prévoient tous terminer l’année avec des déficits  budgétaires énormes. Ces dangereux déficits ne font qu’augmenter dramatiquement la dette de ces pays et les coûts associés à son financement.

Ainsi, on prévoit que la dette publique de la Grèce va représenter, à la fin de cette année, 113,4% de son PIB. Non seulement s’agit-il d’un ratio hors-norme mais rien ne laisse présager que ce pourcentage va cesser d’augmenter au cours des prochaines années, bien au contraire. Et ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que la Grèce n’est pas un cas isolé et que beaucoup trop d’États européens ont des déficits et des dettes publics tellement élevés qu’ils risquent de paralyser eux-mêmes l’activité économique de leur pays. Aux États-Unis, la dette représente aujourd’hui 85% du PIB, et le déficit anticipé pour l’année devrait atteindre encore 10% du produit intérieur brut.

Comprendre le miracle

Si le Canada s’en tire beaucoup mieux que les autres, c’est notamment parce qu’il avait adopté une discipline budgétaire très stricte. En 1995, le Wall Street Journal avait fait du Canada un «membre honoraire du tiers monde» parce que le pays était totalement enlisé dans les déficits budgétaires. La situation a changé du tout au tout depuis 1997, soit depuis que le gouvernement canadien a commencé à accumuler des surplus budgétaires. En douze ans, ces sommes ont permis au pays de réduire sa dette de 100 milliards de dollars.

Lorsque la récession a éclaté, le gouvernement canadien était donc mieux armé que les autres pour faire face à la musique. Le programme de stimulation économique de 55 milliards de dollars mis de l’avant par le gouvernement conservateur a permis d’atténuer les effets de la récession sans ruiner le pays, comme on le voit partout ailleurs dans le monde.

Même chose au Québec, où le gouvernement avait mis en branle un vaste programme de rénovation des infrastructures qui a imprimé une direction à l’économie et qui a réduit les contrecoups de la récession. Au plus fort de la crise, le déficit budgétaire québécois ne représentait que 1,5% du PIB. On est loin des ratios de 5%, 10% ou 12%.

La grande différence canadienne, c’est aussi que ni le système financier ni le marché immobilier n’ont contribué à intensifier la récession comme ce fut le cas aux États-Unis et en Europe. Les banques canadiennes, en raison de la réglementation qui encadre notre système financier, avaient maintenu un niveau élevé de capitaux, leurs actifs ne pouvant excéder de 20 fois leur base de capital. De telles balises n’existaient pas pour les banques américaines et européennes.

Si la récession a touché tous les pays industrialisés, elle a toutefois épargné les deux moteurs de la croissance économique mondiale: la Chine et l’Inde. Ces deux pays ont poursuivi leur croissance et ont continué à acheter des matières premières. À leur plus bas niveau, les exportations de matières premières canadiennes étaient de 50% plus élevées que lors de la récession précédente de 1992. Cette forte activité, combinée à la demande ininterrompue de produits pétroliers et gaziers, a permis de compenser la baisse d’activités dans le secteur manufacturier.

Même si le Canada a profité d’une chance certaine, la demande de matières premières ne s’est s’est pas effondrée, le pays était sans conteste mieux équipé que plusieurs de ses semblables grâce à des finances publiques saines et à un système financier bien encadré qui lui ont permis de mieux conjurer les effets de la récession.