/  31 mars 2013

Le Dow Jones au-delà des records et du temps

L’indice Dow Jones des valeurs industrielles de la Bourse de New York a enregistré une série de records au cours du mois de mars dernier, lesquels lui ont permis de récupérer toutes les pertes qu’il avait subies durant la crise financière de 2008 et la récession de 2009, soit plus de la moitié de sa valeur depuis l’atteinte de son sommet historique des 14 265 points, le 9 octobre 2007. Le plus vieil indice boursier au monde vient une fois de plus de démontrer qu’il a la « couenne dure », lui qui en a vu bien d’autres depuis sa création le 28 mai 1896.

Les marchés boursiers ne sont pas nés de la modernité récente ni de la financiarisation sans cesse grandissante de la société. Certains historiens font remonter les échanges et les sociétés par actions à une époque aussi lointaine que l’Antiquité.

Les premiers marchés boursiers organisés voient le jour à la fin du Moyen Âge, en Italie et dans les Pays-Bas où on enregistrera d’ailleurs le premier krach boursier de l’histoire lorsque, en 1630, le prix des tulipes connaît, sous la poussée de la fébrilité des investisseurs, une forte envolée spéculative au point d’entraîner l’effondrement du marché.

Aux États-Unis, le marché boursier s’organise dans les premières années qui suivent l’indépendance de la jeune république américaine. C’est le premier secrétaire américain au Trésor, Alexander Hamilton, qui favorise un lieu d’échange de titres de sociétés par actions et de titres de créances d’État dans le quartier commercial de Wall Street à New York.

En 1792, le New York Stock Exchange voit le jour lorsqu’un groupe de 24 hommes d’affaires se fait octroyer, par Alexander Hamilton, le droit de vendre des actions de certaines entreprises et de facturer des commissions. L’American Stock Exchange est par la suite créé, en 1842, pour officialiser les échanges d’actions d’un plus grand nombre de sociétés qui ne sont pas nécessairement membres du New York Stock Exchange.

Tout au long du XIXe siècle, ce sont les entreprises de chemins de fer qui sont à l’avant-scène du processus d’industrialisation des États-Unis et ce sont celles qui dominent aussi le marché boursier.

C’est pour cette raison qu’en 1884, Charles Dow, un journaliste financier de New York, et son collaborateur Edward Jones, un statisticien, décident de créer un indice qui allait suivre l’évolution du prix des actions des sociétés de chemins de fer. Ils créent la moyenne Dow Jones des transports qui regroupe onze titres de sociétés cotées en Bourse, dont neuf des plus grosses sociétés de chemins de fer américaines.

Avec le temps, Charles Dow observe toutefois que les entreprises d’autres secteurs industriels émergent et commencent à s’imposer sur le marché boursier new-yorkais. Voilà pourquoi lui et son collègue Jones élaborent un indice qui sera plus représentatif de la progression générale du marché boursier américain.

C’est ainsi que, le 26 mai 1896, naît l’indice Dow Jones des valeurs industrielles, le premier indice boursier à voir le jour dans le monde capitaliste et donc le plus vieux de la planète.

Un indice en évolution

L’indice concocté par les collègues Dow et Jones en 1896 n’était pas beaucoup plus élaboré que celui de 1884. Il comportait seulement 12 titres d’entreprises actives dans des secteurs variés, mais avec une nette prédominance dans le secteur de la sidérurgie, soit trois sociétés productrices d’acier et trois autres de cuivre et de plomb.

Le Dow Jones comprenait aussi un producteur de coton, un autre de sucre, un troisième de pétrole et un quatrième de caoutchouc, une société de nourriture pour animaux, une société d’électricité (Thomas Edison qui deviendra GE) et enfin la société US Leather Company, qui fabriquait des courroies en cuir pour les machines agricoles, et était l’entreprise préférée du Dow Jones. Elle a fait faillite en 1952.

Sur les douze sociétés de départ, seule GE existe encore et figure toujours dans la moyenne Dow Jones des valeurs industrielles.

La valeur de départ du Dow Jones a été fixée à 40 points en 1896. Au cours de ses quinze premières années d’existence, l’indice n’était suivi que par les rares initiés du marché boursier, lequel était considéré à l’époque comme un lieu de spéculation extrême.

Au début des années vingt, beaucoup de citoyens ordinaires commencent toutefois à s’intéresser à la Bourse et achètent des actions. Le Dow Jones, qui était en dessous des 100 points, progressera de 480 % entre 1921 et octobre 1929 lorsque la Bourse de New York vit soudainement son premier krach. En 1931, le Dow Jones est toujours en recul et enregistre une perte de 52 % dans l’année.

Il faudra attendre 25 ans – la Grande Dépression et la Deuxième Guerre mondiale – avant que le Dow Jones ne revienne au-dessus de la marque des 400 points. Les années cinquante sont passablement euphoriques alors que le Dow Jones enregistre une appréciation quasi continue de 250 % en dix ans.

Fait à préciser, l’indice Dow Jones n’est plus celui qu’il était à ses débuts, en 1896. Dès 1928, on a élargi à 30 le nombre de sociétés qui composent l’indice. Comme à ses débuts toutefois, le Dow Jones ne compte pas de sociétés de transport, qui ont toujours leur propre indice, la moyenne Dow Jones des transports.

Durant les années soixante et soixante-dix, le Dow Jones ne progressera pas de façon spectaculaire et fera presque du surplace. C’est durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix qu’il réalisera les plus fortes valorisations de son histoire en enregistrant des gains de 228 % et de 317 % respectivement.

Ces valorisations se sont réalisées malgré l’avènement du douloureux krach boursier d’octobre 1987, lorsque le Dow Jones enregistre sa plus forte correction au cours d’une seule et même séance, soit 22,5 %.

Une capacité de rattrapage

En 1999, le Dow Jones franchit pour la première fois la marque des 10 000 points. L’indice accueille aussi, pour la première fois, deux sociétés inscrites à la cote de l’indice des titres de technologie Nasdaq, soit Microsoft et Intel.

En janvier 2000, le Dow Jones atteint le niveau record de 11 722 points avant de subir les contrecoups de l’éclatement de la bulle technologique et de tomber sous les 10 000 points. Malgré le contexte difficile des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et de la récession qui s’en suivit, l’indice reprend progressivement sa marche haussière pour atteindre un nouveau niveau record à 14 198 points en octobre 2007.

La crise financière internationale de 2008 et la récession de 2009 feront reculer l’indice de façon soutenue durant 17 mois. Le 9 mars 2009, le Dow Jones est dans les bas-fonds et termine la séance à 6 540 points, son plus bas niveau depuis 1997. Il s’agit d’une perte de valeur de 54 % en 17 mois.

Depuis quatre ans et demi maintenant, le Dow Jones s’est remis en mode haussier et a réussi à battre sa marque historique le 5 mars 2013, en clôturant à 14 265 points. En effet, le Dow Jones s’est payé le luxe de fracasser son propre record au cours de huit séances qui suivront pour atteindre, le 17 mars 2013, la marque des 14 539 points.

La séquence de séances record s’est terminée après huit journées de hausse consécutive, mais, au-delà de cette seule prouesse, le Dow Jones a surtout réussi à reprendre toutes les pertes qu’il avait encaissées de 2007 à 2009 dans le pire marché baissier à survenir depuis le krach de 1929.

En 65 mois, le Dow Jones a récupéré plus de 10 000 milliards de dollars de valorisation boursière. L’indice a mis un an de moins à récupérer ses pertes qu’il ne l’avait fait au lendemain de l’éclatement de la bulle technologique de 2000.

Le Dow Jones est un indice imparfait parce qu’il se limite à suivre le comportement boursier des 30 plus grosses entreprises américaines. Ces sociétés ont beau être les plus grosses et les plus importantes – en termes de valeur boursière sur le marché – elles ne représentent tout de même qu’une fraction de l’activité économique et industrielle des États-Unis. C’est d’ailleurs pourquoi l’American Stock Exchange a créé, en 1920, l’indice S&P 500 pour suivre 500 entreprises qui projettent un spectre industriel beaucoup plus large que ne le fait le Dow Jones.

Ceci dit, le Dow Jones demeure le plus vieil indice boursier au monde. Son spectre a beau être moins large, le Dow Jones reste, pour plusieurs, l’indice phare de la Bourse américaine.