/  18 août 2007

L’art d’évaluer une action

Les marchés boursiers ne sont pas pour les âmes sensibles…

À la Bourse, les gens constatent, souvent avec un brin d’ironie, qu’ils peuvent acheter une action seulement si quelqu’un est prêt à vendre. Autrement dit, la transaction n’est possible que si deux opinions contraires se rencontrent. Ainsi, pendant que l’analyse des uns les pousse à choisir un titre, l’analyse des autres doit les inciter à s’en départir.

Comment expliquer cette contradiction ? Simplement par le fait qu’il n’existe pas de recette magique ou de formule toute faite pouvant nous aider à savoir quand acheter un titre boursier. C’est toujours du cas par cas. Et il ne faut surtout pas se fier aux apparences, mais plutôt gratter en profondeur.

Dans ce contexte, la meilleure façon de rester au-dessus de la mêlée est de voir venir les choses. Voilà pourquoi les analystes scrutent les données financières des entreprises, et tout le tralala, afin de déterminer la valeur des actions.

Mais ce n’est pas une mince affaire. Prenons, par exemple, le ratio cours/bénéfice (C/B). Facile à calculer, ce ratio s’obtient en divisant le cours d’une action ordinaire par le bénéfice par action de l’entreprise. Ainsi, si le titre se négocie à 30 $ et le bénéfice par action est de 1 $, le ratio cours/bénéfice sera de 30. En théorie, plus ce multiple est bas, plus l’action ordinaire est une aubaine. Mais, dans les faits, cette analyse est un peu plus complexe.

Préciser le point de chute

Pour déterminer si une action est chère ou non, il faut un point de repère. De ce raisonnement logique découle le concept de la juste valeur marchande, qu’on définit comme étant le prix le plus élevé qu’il serait raisonnable d’attendre pour vendre une action, suivant la méthode habituellement applicable et le cours normal des affaires, sur un marché qui n’est pas soumis à des tensions indues.

En ayant à l’esprit cette définition, cette juste valeur nécessitera-t-elle un ratio C/B de 10 ou de 25 ? La réponse varie d’un secteur d’activité à l’autre. Par exemple, dans l’alimentation, où les marges de profit sont réduites, la réduction des coûts améliorera la valeur d’une entreprise. Dans les biotechnologies, on s’intéressera aux efforts de  recherche et développement.

Normalement, une entreprise cyclique sera affublée d’un ratio C/B plus faible (surtout quand les profits atteignent un sommet). À l’inverse, une entreprise qui entraîne beaucoup de liquidités et qui est en forte croissance (ex.: eBay et Google) méritera un ratio C/B plus élevé.

L’investisseur doit donc acheter en toute connaissance de cause, et faire preuve de jugement. Il doit comprendre la nature intrinsèque de l’entreprise évaluée et avoir une idée de ses perspectives à long terme (cinq ans et plus). Il doit donc se méfier du bénéfice déclaré, car ce dernier ne reflète pas tout le temps la réalité. Ce chiffre ne doit absolument pas être pris à la lettre, mais plutôt être décortiqué afin de déterminer la réelle capacité bénéficiaire des entreprises. Par exemple, les dépenses extraordinaires peuvent réduire le bénéfice d’un trimestre donné, bien qu’elles risquent fort de ne pas se répéter dans l’avenir.

Considérer le taux sans risque

Un autre élément qu’il faut absolument prendre en compte est l’environnement qui prévaut lors de l’achat. Intuitivement, avant de prendre un risque, il est toujours préférable de considérer le gain que l’on peut faire sans se mouiller.

Prenons, par exemple, le ratio cours/bénéfice de l’indice S&P/TSX qui était de 16,65 en  avril 2007. Selon le modèle de la Fed, popularisé en 1997, ce ratio équivaut à un taux d’intérêt de 6 % (1/16,65 x 100), un résultat nettement supérieur au rendement des titres à revenu fixe, soit 4,16 % (obligations canadiennes de 5 à10 ans) au même moment. Ce résultat indique clairement que la Bourse peut encore s’apprécier.

Le même raisonnement s’applique aux titres individuels, avec la différence que le taux de croissance du bénéfice peut influencer la juste valeur de l’action. Il est donc important de déterminer si l’entreprise progresse plus ou moins rapidement que l’ensemble du  marché. Celle-ci méritera un multiple plus élevé si son rythme de croisière est plus rapide que celui des autres entreprises.

En reprenant l’exemple précédent, il est possible d’évaluer que le multiple maximal du marché canadien serait de 24 (1/24 x 100 = 4,16 %) dans l’environnement actuel. Sachant que la croissance boursière historique de ce marché tourne autour de 8 %, on pourrait très bien tolérer un multiple plus élevé lorsque le bénéfice d’une entreprise croît à 16 %. Logiquement, si un multiple de 24 est acceptable avec une perspective de croissance de 8 %, un multiple de 48 pourrait très bien s’appliquer à un taux de 24 %.

Bien entendu, dès qu’il y a un changement dans la direction des taux à long terme ou de la croissance de l’entreprise, cette analyse prend une autre dimension. Afin de se protéger contre ce risque, il est toujours préférable de calculer une marge de sécurité. C’est pourquoi un multiple de 17 sera préférable à 24, malgré les taux d’intérêt actuels. Et ce multiple permettra de déterminer la juste valeur des entreprises.

Savoir si le passé a de l’avenir

Dans la pratique, on constate que même en analysant en profondeur le ratio cours/bénéfice, il est souvent difficile de faire un choix précis. Certains investisseurs, par exemple, sélectionneront les titres sur la base de leur valeur passée selon le concept de retour à la moyenne. Ils observeront la performance relative historique d’un titre par rapport au marché afin de connaître la direction qu’il prendra. En termes simples, ils tenteront de dénicher des titres qui se négocient en dessous de leur valeur moyenne historique dans l’espoir que ceux-ci reviendront à leur juste valeur.

D’autres investisseurs estiment qu’il ne faut pas seulement se fier au passé et s’intéressent à l’évolution future de l’entreprise. Ainsi, une baisse soudaine du ratio C/B d’une entreprise en bonne santé financière peut indiquer que le marché s’attend à une détérioration de son bilan prochainement. À l’inverse, un multiple subitement plus élevé peut dénoter qu’une hausse du bénéfice déclaré est attendue. Il est cependant important de comprendre que la croissance anticipée du bénéfice n’est qu’une hypothèse.

Bref, personne n’a la science infuse. Mais, une chose est certaine, pour être en position de force dans le marché boursier, un investisseur doit être capable de déterminer si le prix d’une action est raisonnable ou non.

Évolution du ratio cours/bénéfice du marché boursier canadien (S&P/TSX)

Période Ratio C/B
1960-69 17,4
1970-79 11,6
1980-89 14,3
1990-97 42,9
Juin 2000 30
Avril 2007 16,65

Source : OCDE, Bloomberg et Bourse de Toronto