/  09 décembre 2003

La « mise à part » de l’argent, une stratégie fiscale intéressante pour le travailleur autonome

LA « MISE À PART » DE L’ARGENT, UNE STRATÉGIE FISCALE INTÉRESSANTE POUR LE TRAVAILLEUR AUTONOME

Fiscaliste bien connu, le président du Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), M.Yves Chartrand, a publié, en avril 2003, un texte sur une stratégie dont le potentiel est apparemment illimité.

Accessible aux travailleurs autonomes non incorporés, aux particuliers propriétaires d’immeubles locatifs et aux associés d’une société en nom collectif, cette stratégie permettrait de transformer des intérêts non déductibles (par exemple, sur l’hypothèque grevant la résidence principale) en intérêts déductibles. La stratégie de M. Chartrand est fondée sur un jugement rendu par la Cour suprême en 2001 et appuyée par une réponse favorable de l’Agence des douanes et du revenu du Canada à une demande de décision anticipée qu’il a lui-même déposée, en décembre 2002.

Cette stratégie repose essentiellement sur deux éléments, en l’occurrence 1) des dépenses d’exploitation et 2) des dettes personnelles dont les intérêts ne sont pas déductibles.

En pratique, la «mise à part» de l’argent est une technique en vertu de laquelle le contribuable conserve ses liquidités afin de payer ses dépenses personnelles, incluant ses emprunts pour lesquels les intérêts ne sont pas déductibles, tandis que les dépenses dont les intérêts sont déductibles en cas d’emprunt sont effectivement financées par ce moyen.

Pour se prévaloir de cette technique, il faut ouvrir des comptes bancaires distincts, l’un pour les dépenses, l’autre pour les recettes de l’entreprise. Les revenus de l’entreprise serviront à assumer les dépenses courantes, incluant les dettes personnelles. Un autre compte comportant une marge de crédit ou tout autre emprunt sera affecté au paiement des dépenses d’affaires. Il est important, voire essentiel que ce compte ne soit pas « contaminé », c’est-à-dire qu’il ne serve pas à défrayer des dépenses à des fins personnelles. En effet, les dispositions de la loi de l’impôt relatives à la déductibilité des intérêts édictent que l’argent emprunté doit être utilisé spécifiquement à des fins admissibles.

Ceci signifie que les dettes dont les intérêts ne sont pas déductibles seront payées avec les revenus bruts (c’est-à-dire avant les dépenses d’affaires) déposés dans un compte « recettes »; ces dettes étaient auparavant payées à même les revenus nets (c’est-à-dire après les dépenses d’affaires). D’autre part, un compte « débours » servira exclusivement à payer les dépenses d’exploitation de l’entreprise, soit des dépenses « admissibles » aux fins de la déduction des intérêts.

Ce faisant, un travailleur autonome pourra convertir progressivement tous ses emprunts dont les intérêts sont non déductibles aux fins fiscales en emprunts dont les intérêts le seront entièrement.

Selon M. Chartrand, cette technique pourrait être utilisée dans plusieurs situations : la récupération de cotisations inutilisées au REER, le paiement des impôts en retard, le règlement du solde de la carte de crédit, le prêt auto, etc.

Exemple

Prenons à titre d’exemple, un médecin dont la situation se résume comme suit :

Chiffres d’affaires (revenus professionnels) 200 000 $
Dépenses d’exploitation (50 000) $
Revenu net avant impôts 150 000 $
Impôts approximatifs (60 000) $
Liquidités annuelles pour assumer les dépenses
courantes (incluant hypothèque et dettes personnelles)
90 000 $
Hypothèque sur la résidence 100 000 $

En utilisant la « mise à part » de l’argent, le professionnel en question aura deux comptes de banque pour l’entreprise : l’un pour les recettes (200 000 $ par année), l’autre pour les débours de l’entreprise (50 000 $ par année).

Ainsi, les recettes (revenus professionnels) seront utilisées pour assumer les dépenses courantes (90 000 $), les impôts (60 000 $) et l’hypothèque
(100 000 $). Le compte « débours », comprenant une marge de crédit autorisée de 100 000 $, augmentera à chaque dollar remboursé sur le prêt hypothécaire actuel.

La conversion devra être effectuée après deux ans, l’emprunt de 100 000 $ correspondant à deux années de dépenses d’exploitation. Utilisée à 50 % la première année et à 100 % la seconde, la marge de crédit permettra de déduire les intérêts afférents désormais entièrement déductibles, et ce, durant toute la période d’amortissement de la marge de crédit, car l’emprunt sera effectué à des fins admissibles, la marge ayant servi à gagner un revenu d’entreprise.

Par la suite, il sera possible de convertir la marge de crédit en prêt hypothécaire et de continuer à déduire la charge d’intérêts sur cet emprunt au fil des années, selon la durée restante de l’emprunt (5, 10, 15 ou 20 ans). Dans le présent cas, il pourra en résulter des économies intéressantes puisque les intérêts payés sur une hypothèque de 100 000 $ à 6 % sur 20 ans totaliseront plus de 75 600 $.

Pour le contribuable, on calcule des épargnes de 36 000 $ à un taux d’impôt marginal de 48,2 %, et ce, sans trop d’efforts.

Plus les dépenses d’affaires du travailleur autonome seront élevées, plus vite la stratégie sera complétée.

CONCLUSION

Consulter son planificateur financier avant d’utiliser cette stratégie est une sage décision, car aussi attrayante soit-elle, elle doit être l’objet d’un examen rigoureux. Il faudra par exemple procéder au partage du patrimoine familial en cas de séparation ou de divorce. En effet, pendant l’utilisation du compte « recettes» pour régler l’hypothèque sur la résidence, la marge de crédit « affaires » augmentera d’autant. Or, comme celle-ci ne constitue pas une dette réduisant la valeur du patrimoine familial, il pourrait en résulter un accroissement important au profit de l’autre conjoint(e), compte tenu de l’hypothèque initiale.

La stratégie de « mise à part » de l’argent n’est pas accessible au salarié, celui-ci ne faisant aucune dépense d’affaires.

Si vous êtes intéressée(e) à approfondir cette question, communiquez avec nous. Nous nous ferons un plaisir de vous envoyer un bulletin fiscal explicatif.