/  18 janvier 2007

La Chine et l’Inde : deux économies émergentes, mais si différentes

Depuis longtemps, on parle de l’intégration, dans l’échiquier mondial, de ces deux économies géantes de par leurs populations, mais si différentes de par leurs institutions, leurs infrastructures et leurs marchés financiers.

En raison de l’importance du sujet, l’intégration de ces deux pays dans les dynamiques commerciales et financières mondiales occupe une grande place dans les discussions des investisseurs, non seulement du fait de l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du boom technologique de la dernière décennie, mais également en raison de l’afflux de liquidités et de l’enthousiasme (peut-être même un peu euphorique) que suscitent les titres de ces pays.

Bien que la Chine affiche un rythme de croissance réelle moyenne de son économie de près de 10 % depuis une vingtaine d’années (rythme d’ailleurs plus rapide que celui de l’Inde au cours de la même période qui s’élève à 5 %), cette croissance n’équivaut pas nécessairement à un meilleur rendement sur le parquet de la Bourse.

Performance boursière

Les tableaux 1 et 2 illustrent en effet le rendement des Bourses de la Chine, de l’Inde et de l’ensemble des pays en voie de développement, cumulativement depuis 1992 et depuis le creux des marchés boursiers, en 2002.  Depuis 1992, la Chine a accumulé un retard important face à la plupart des pays émergents; depuis 2002, elle n’atteint que le rendement moyen de l’ensemble de ces pays, ce qui la positionne bien loin derrière la Bourse indienne.

Pourquoi cette différence entre les performances de l’économie et de la Bourse de ces pays?

Contribution économique — secteur agricole

Il faut d’abord garder en perspective que la Chine et l’Inde sont deux pays en voie de développement et que l’origine de leurs croissances économiques respectives est différente de celle des pays industrialisés.

Au cours du vingtième siècle, ces derniers ont vu leurs économies passer d’un fondement manufacturier à un fondement de services. Aujourd’hui, par exemple, plus de 65 % du PIB du Canada repose sur la prestation de services.  Cette transformation a réduit considérablement la volatilité du cycle économique, car l’accumulation et la liquidation d’inventaires et de main-d’œuvre accentuaient l’amplitude des récessions et des expansions.

De la même façon, une économie fondée davantage sur le secteur agricole est encore plus volatile qu’une économie manufacturière, mais surtout plus imprévisible, car elle dépend plus des aléas des conditions météorologiques et des récoltes.

Au cours des 15 dernières années (voir le tableau 3), la Chine a fait plus de progrès que l’Inde pour réduire la proportion de son économie fondée sur l’agriculture. Toutefois, l’Inde a toujours  préservé, depuis cette période, un avantage marqué,  en raison de la proportion de son produit intérieur provenant du secteur des services.

Par conséquent, l’économie chinoise est aujourd’hui très liée au cycle de la demande mondiale des biens manufacturés, étant donné que plus de 53 % de son PIB est lié au secteur de l’industrie; de son côté, l’économie de l’Inde est moins sensible à ce même cycle, mais plus dépendante de la température.

Dans le prochain texte, nous aborderons les contributions du secteur privé et des régimes politiques ainsi que les  composantes de la croissance économique de ces deux pays.

Contribution économique — Secteur privé

Depuis une quinzaine d’années (tableau 1), les économies de la Chine et de l’Inde ont maintenu les contributions respectives des différents agents à la croissance économique.

Malgré le régime centralisateur communiste chinois, la proportion du PIB consommée par le gouvernement ne représente que 12 % de la demande interne, tout comme en  Inde et au Canada.

Par contre, ce sont les investissements (infrastructures, énergie, transport, communication, gestion de l’eau, etc.) qui distinguent la Chine de l’Inde, avec un rythme de croissance spectaculaire qui stimule d’autant les gains de productivité manufacturière qui la caractérisent. Cette abondance de capitaux disponibles est possible grâce au taux d’épargne de plus de 40 % du PIB dont jouit la Chine depuis une quinzaine d’années et qui a des effets multiplicateurs sur le rythme de croissance économique.

Pour sa part, le taux d’épargne en Inde s’est maintenu à la moitié du taux chinois, soit autour de 20 %, au cours de cette même période. Étant donné la disponibilité moindre des capitaux, les politiques économiques ont plutôt favorisé les détenteurs de ces mêmes capitaux (en élevant des barrières à la concurrence, comme l’allocation de permis et de quotas) au détriment de l’atteinte d’un rythme de croissance plus élevé.

Par conséquent, la demande intérieure de l’Inde est dominée par le secteur de la consommation privée, c’est-à-dire des ménages qui consomment des biens durables ou non, secteur qui subit l’influence à son tour de l’accroissement du revenu disponible de la population (baisses d’impôt, augmentation des salaires et des revenus de placement).

Contribution économique — Régimes politiques

Plusieurs observateurs dénoncent le non-respect des libertés individuelles en Chine et reconnaissent le régime démocratique de l’Inde. Il n’en demeure pas moins que le pouvoir central chinois constitue la clé d’une croissance rapide soutenue, tandis que le modèle démocratique indien s’avère un fardeau important pour la croissance économique du pays.

Plus précisément, la détermination des autorités politiques chinoises à développer le pays, économiquement et financièrement, a fait en sorte de favoriser des politiques macroéconomiques, comme les expérimentations régionales avec le système capitaliste, la direction du développement infrastructurel et économique des différentes régions  ainsi que l’allègement de la réglementation sur le commerce externe.

Croissance ou profits ?

Il y a souvent confusion entre croissance économique et croissance boursière. Un système juridique efficace qui soutient le respect des contrats, assorti d’une contrainte de capitaux, peut permettre aux entreprises concurrentielles de produire de protéger des profits des plus considérables.

Toutefois ces ingrédients ne sont pas nécessaires pour la croissance économique d’un pays en voie de développement.  L’expérience chinoise prouve qu’il est possible de diriger une croissance économique rapide en créant des marchés de consommation efficaces et en investissant de façon importante dans les infrastructures. La croissance chinoise est due à la canalisation efficace du fort taux d’épargne en investissements. Cet état de fait solidement établi continuera d’attiser un rythme de croissance accéléré tout au long de la prochaine décennie, indépendamment des progrès relatifs à la protection des droits de la personne, au système juridique ou à la libéralisation des marchés financiers.

Contrairement à la Chine, l’Inde compte un nombre important de très grandes entreprises privées, cotées en Bourse et oeuvrant dans un marché international très concurrentiel. La Chine ne possède pas de telles entreprises, ses plus importantes étant des sociétés d’État. Souvent alourdies par la main-d’œuvre et les dettes, ces dernières n’ont pas nécessairement comme objectif la maximisation des bénéfices, car elles sont plutôt préoccupées à accroître leurs revenus.  En effet, plus l’entreprise est grande et emploie un nombre élevé de personnes, plus elle est susceptible de bénéficier de l’appui de l’État lorsqu’elle est en difficulté.  Les sociétés privées tendent alors à être beaucoup plus petites, à fonctionner avec des marges bénéficiaires des plus minces et dans des marchés des plus concurrentiels; elles n’ont pas accès au financement des marchés des capitaux intérieurs ou internationaux.

Par conséquent, le rendement des actions en Bourse a généralement été plus élevé en Inde qu’en Chine et devrait continuer de l’être.