IL EST EN FORME DE QUOI, TON TESTAMENT ?
Publié dans « La Cible » d’octobre 2022
Le magazine officiel de l’IQPF
Auteure : Jacinthe Faucher, D. Fisc., Pl. Fin., LL. B., D.D.N.
Planificatrice financière à la Société de services financiers Fonds FMOQ inc.
Étude de cas
Jean-Philippe a tout avantage à être persuasif vis-à-vis de ses beaux-parents, Cecilia et Emmanuel, afin que ces derniers s’assurent de la validité de leurs testaments, qu’ils ont rédigés eux-mêmes sur l’ordinateur. Rien de pire que des gens qui se croient protégés, alors que leurs documents juridiques ne sont pas conformes à la loi.
Un testament est un acte juridique unilatéral1, probablement le plus important qu’un individu se doit de rédiger au cours de sa vie. Cet acte permet de choisir à qui l’on veut distribuer son patrimoine à son décès, tout en déterminant qui en aura l’administration. À défaut de testament, la loi décide à qui seront distribués les biens et qui en aura l’administration2.
Toute personne ayant la capacité requise peut rédiger un testament3. Cette capacité s’apprécie au temps où le testament est rédigé4. Ainsi, si une personne devient inapte quelques années après avoir rédigé son testament, celui-ci demeure. Toutefois, un mineur ne peut tester autrement que des biens de peu de valeur5. Un majeur sous régime de protection peut parfois tester, selon son degré d’inaptitude. S’il est protégé par le régime de la curatelle, il ne peut tester, mais s’il est protégé par le régime de la tutelle et qu’il rédige un testament après l’ouverture de son régime de protection, son testament pourrait être valide, si le tribunal le confirme et sous réserve de certaines conditions6. L’article 65 de la Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes7, qui entrera en vigueur le 1er novembre 2022 et qui regroupera tous les régimes de protection en un seul, soit la tutelle, va dans le même sens.
Il est de l’essence même d’un testament d’être révocable. Ce principe est d’ailleurs renforcé par la loi, puisqu’il est interdit à toute personne d’abdiquer sa faculté de tester ou de révoquer ses dispositions testamentaires faites antérieurement8. La seule exception est la donation irrévocable prévue dans un contrat de mariage ou d’union civile9.
Outre la révocabilité, le testament est un acte juridique unilatéral, personnel et privé, qui ne peut être fait conjointement, sous peine de nullité. Tel serait le cas d’un seul testament signé entre deux conjoints. Enfin, le testateur doit disposer de son patrimoine, en tout ou en partie, à titre gratuit.
Trois formes de testament sont prévues par la loi : le testament notarié, le testament olographe et le testament devant témoins10. Même s’il ne s’agit pas d’une forme de testament, la clause testamentaire contenue dans un contrat de mariage vaut toutefois comme testament. Aucun ordre de priorité n’existe entre ces différentes formes de testament, le dernier rédigé est celui qui prendra effet au moment du décès.
Les formes de testaments et leurs caractéristiques :
Exigences légales | Témoins | Vérification requise | |
Testament notarié |
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Le notaire doit être assisté d’un témoin qui doit être nommé et désigné à l’acte. Le témoin doit être majeur et ne peut être employé du notaire instrumentant, sauf s’il est notaire. | Aucune. Le testament notarié est authentique et bénéficie d’une force probante quant à son contenu et sa confection. |
Testament olographe | Il doit être entièrement écrit par le testateur et signé par lui, autrement que par un moyen technique. | Aucun. | Oui, au décès. |
Testament devant témoins |
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Oui. Ils doivent être deux et ils doivent être majeurs. Ils ne doivent pas être héritiers, car leur legs est sans effet. |
Oui, au décès. |
Lorsque la forme d’un testament n’est pas respectée, sa sanction est la nullité12. Toutefois, la loi prévoit trois exceptions à ce principe, à savoir :
- La validation d’un testament sous une autre forme : un testament fait sous une forme donnée qui ne satisfait pas aux exigences de cette forme de testament vaut comme testament fait sous une autre forme, s’il en respecte les conditions de validité13. Pour qu’une telle exception s’applique, il doit s’agir d’un défaut de forme du testament, et non d’un vice de fond, tel que la capacité du testateur.
- La reconnaissance du testament par tous les héritiers : si tous les héritiers ont reconnu un testament, que ce soit un testament olographe ou devant témoins, ils ne peuvent plus en contester la validité14.
- La validation judiciaire selon l’article 714 C.c.Q. : cet article, de droit nouveau, constitue une exception importante au principe énoncé ci-dessus, à savoir que les formalités d’un testament doivent être respectées, sous peine de nullité.
Seuls les testaments olographes et devant témoins peuvent faire l’objet d’une validation judiciaire en vertu de l’article 714 C.c.Q. Trois conditions doivent être remplies pour que le testament puisse être validé :
- il satisfait aux conditions requises, mais pas pleinement ;
- même avec l’imperfection, il satisfait aux conditions essentielles ;
- il est établi qu’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt15.
Il va sans dire que les conditions essentielles d’un testament olographe ou devant témoins peuvent varier en fonction de l’interprétation qu’en fait un juge, puisqu’elles ne sont pas mentionnées explicitement dans la loi. C’est ce qui explique pourquoi les jugements rendus en la matière sont souvent contradictoires.
Toutefois, une certaine tendance se dégage des jugements rendus par nos tribunaux. Ainsi, en règle générale, un testament olographe qui n’est pas signé ne sera pas validé par le tribunal. La signature d’un testament lui confère un statut définitif.
La condition de forme rattachée au testament olographe semble avoir une interprétation plus libérale par nos tribunaux. Mais le fait qu’il soit électronique est souvent un motif de refus de validation d’un testament.
Pour un testament devant témoins, la présence de deux témoins ne semble pas toujours être une condition essentielle pour le valider, mais il s’agit sans aucun doute d’une condition importante, particulièrement lorsqu’il est rédigé à l’aide d’un moyen technique ou par un tiers.
Tel est le cas d’un jugement rendu en 2021, où il était question d’un courriel transmis à un notaire lorsque le testateur était hospitalisé16.
Ce dernier avait contracté la COVID-19 et lors de son hospitalisation, il avait rédigé un courriel à son notaire, lui mentionnant ses intentions testamentaires et à la fin, il était inscrit « Ceci est ma signature ». Le notaire a rédigé le testament, mais ne pouvant se présenter à l’hôpital, il lui a transféré son projet de testament par courriel. Le testateur ne lui a jamais répondu. Il est tombé dans le coma et est décédé par la suite.
Le tribunal a rejeté la demande en validation du testament, pour les motifs que le courriel ne respectait en rien les formalités requises pour un testament olographe. Il n’y avait pas de signature et n’était pas écrit par le testateur autrement que par un moyen technique. De plus, le testament ne pouvait respecter les conditions de formes d’un testament devant témoins, puisque aucun témoin n’avait assisté à sa rédaction ni signé l’acte.
La jurisprudence abonde en la matière, que ce soit un testament devant témoin où ces derniers ne signent pas en même temps, un codicille écrit à la main en marge d’un testament notarié, la signature qui apparaît dans le milieu du testament, l’absence de paraphe sur un testament devant témoins, ou encore l’usage d’un crayon marqueur, la rédaction d’un testament sur une page de sudoku, sur une carte postale, au dos d’une enveloppe contenant déjà un testament, sur un morceau de plastique, ou sur un panneau de laveuse, un bout de napperon ou encore fait par vidéo.
Malgré l’originalité qui peut se dégager de ces testaments, ou semblants de testaments, il n’en demeure pas moins que des procédures judiciaires doivent être entreprises à chaque fois qu’un tel écrit est découvert par la succession d’un défunt. Des frais importants et des délais de règlement de succession rendent d’autant plus pénible le décès d’une personne pour sa famille et ses proches. Sans compter les chicanes interminables que cela peut occasionner.
Il existe également plusieurs formulaires proposés dans des sites Internet permettant de rédiger un testament. La Chambre des notaires du Québec a fait une mise en garde concernant l’utilisation de ces types de formulaires17. Elle mentionne que ceux proposés à la population en ligne sont souvent incomplets, confus ou erronés, et ne respectent pas le droit civil québécois. De plus, plusieurs publicités sont muettes quant au fait qu’un testament olographe ou devant témoins devra faire l’objet d’une vérification par un notaire ou un tribunal, ce qui entraîne des coûts élevés et des délais de procédures.
Nous connaissons tous l’importance d’avoir un testament. Encore faut-il que cela en soit réellement un ! Bien que les testaments olographes de même que devant témoins soient conformes à la loi, ils sont plus sujets à contestations et risquent de ne pas être validés pour défaut de forme par le tribunal.
Lectures complémentaires :
Le planificateur financier joue un rôle important. La proximité et le lien de confiance qu’il a avec ses clients font de lui un professionnel jouant un rôle d’intermédiaire en regard de leurs documents juridiques. Non seulement devrait-il toujours s’assurer que le testament de son client est bien rédigé, mais il devrait également se renseigner sur sa forme. Dans tous les cas où il s’agit d’un testament olographe ou devant témoins, le planificateur financier devrait automatiquement avoir le réflexe d’aviser son client des dangers possibles qui le guettent et l’encourager à consulter son notaire le plus tôt possible pour rédiger son testament sous la forme notariée.
1 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 704 (ci-après « C.c.Q. »).
2 Art. 653 et 785 C.c.Q.
3 Art. 703 C.c.Q.
4 Art. 707 C.c.Q.
5 Art. 708 C.c.Q.
6 Art. 709 et 710 C.c.Q.
7 L.Q. 2020, c. 11, art. 65. L’article 709 C.c.Q. se lira comme suit : « [Capaci.té du majeur en tutelle] Le testament fait par un majeur après sa mise en tutelle ou après l’homologation d’un mandat de protection à son égard peut être confirmé par le tribunal si la nature de ses dispositions et les circonstances qui entourent sa confection le permettent. »
8 Art. 706 C.c.Q.
9 Art. 1841 C.c.Q.
10 Art. 712 C.c.Q.
11 Art. 716 C.c.Q. Certains testaments requièrent la présence de deux té.moins, comme le testament d’un aveugle (art. 720 C.c.Q.) ou celui qui ne peut signer (art. 719 C.c.Q)
12 Art. 713 C.c.Q.
13 Art. 713, al. 2 C.c.Q.
14 Art. 773 C.c.Q.
15 Jacques AUGER, « Les vices de formes des testaments : nouvelle approche de la Cour d’appel », (2016) 15 Entracte 5.
16 Bitton c. Bitton, 2021 QCCS 4649 (requête pour la permission d’appeler rejetée).
17 Antonin FORTIN, « La Chambre des notaires fait une mise en garde concernant l’utilisation de formulaires types pour la rédaction d’un testament », Communiqué, Chambre des notaires du Québec, 2000.