/  03 septembre 2019

De l’économie linéaire à l’économie circulaire : un passage obligé

Au fil des ans, l’environnement est devenu un enjeu écologique certes, mais aussi économique. Comment nos modes de production et de consommation se répercutent-ils sur l’environnement? Comment pouvons-nous atténuer cet impact et migrer vers des modèles économiques plus responsables?

Économie linéaire, un modèle insoutenable à long terme

 

Le modèle économique linéaire consiste essentiellement à extraire ou à récolter des matières premières et à les utiliser comme ressources dans la fabrication de produits qui sont ensuite commercialisés à grande échelle par l’intermédiaire de réseaux de distribution. Une fois achetés par les acheteurs, ces produits sont jetés après avoir été consommés ou lorsqu’ils ne remplissent plus leur fonction ou ne sont tout simplement plus au goût du jour. Tout au long de ce cycle, d’importantes quantités de ressources naturelles et d’énergie deviennent ultimement des déchets.

 

La formule lapidaire « extraire, fabriquer, consommer, jeter » pour décrire l’économie linéaire sert aussi à la décrier, car elle est basée sur l’accessibilité à des matières premières et des énergies fossiles qui foisonnaient au début de la première révolution industrielle, mais dont l’extraction massive a exacerbé la métamorphose de la société agraire et artisanale en société industrielle.

 

Cette mutation s’est accélérée comme en témoigne, par exemple, la consommation des minerais et des ressources énergétiques qui s’est multipliée respectivement par 37 et par 17 entre 1892 et 1992, alors que la population mondiale, elle, quadruplait pour atteindre 5,5 milliards d’êtres humains. Il est à noter que l’humanité a franchi le cap des 7,4 milliards l’an dernier et que des démographes prévoient que ce nombre pourrait dépasser 9 milliards en 2050 et se situer entre 11 et 12 milliards en 2100.

 

Si plus de matières premières ont été extraites depuis la Seconde Guerre mondiale que durant toute l’histoire de l’humanité, le rythme d’extraction de ces ressources destinées au cycle de l’économie linéaire ne ralentit point : de 53 milliards de tonnes en 2002, la quantité de ressources consommées mondialement est passée à 65 milliards de tonnes en 2012, et des spécialistes estiment qu’elle s’élèvera à 82 milliards de tonnes l’an prochain.

 

À l’échelle planétaire, moins de 10 % des ressources extraites sont remises en circulation dans l’économie au terme de leur utilisation. La situation paraît encore plus préoccupante lorsqu’on examine de plus près celles qui sont renouvelables. Le 1er août dernier, l’humanité avait consommé en sept mois toutes celles que la Terre peut produire en une seule année, ce qui signifie que notre espèce a vécu à crédit d’août à décembre 2018. Et cette date recule année après année même s’il appert que bon nombre de ressources essentielles ont déjà atteint un seuil critique quant à leur disponibilité et que nous en sommes à un point où il faudrait l’équivalent de 1,7 planète Terre pour retrouver l’équilibre.

 

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), trois milliards de consommateurs de la classe moyenne viendront s’ajouter aux deux milliards actuels d’ici 2030. Quant à l’utilisation mondiale des ressources matérielles, elle aura doublé entre 2015 et 2050, si la tendance persiste. En exigeant d’extraire de plus en plus de ressources pour satisfaire les besoins d’une population grandissante dont le niveau de consommation global s’accroît, le modèle d’économie linéaire menace de plomber gravement, voire de compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

 

Non seulement cette spirale de surconsommation dure-t-elle depuis un bon moment déjà, mais elle ne semble pas en voie de s’arrêter, générant des quantités de déchets et des dépenses énergétiques qui augmentent phénoménalement, conduisant à un énorme gaspillage amplifié par l’obsolescence programmée de nombreux produits. L’aggravation de notre empreinte écologique (c.-à-d. la quantité de surface terrestre bioproductive nécessaire pour produire les biens et services que nous consommons et absorber les déchets que nous produisons), de même que les dégradations environnementales et climatiques dont nous sommes témoins quotidiennement, en est une preuve irréfutable.

 

Pour refréner, voire juguler cette économie fortement consommatrice de ressources et génératrice de nombreux gaspillages, il faut revoir les modes de production, de consommation et de distribution de façon à moins extraire en amont, à moins jeter en aval et à réduire ou éviter les rejets tout au long de la chaîne de valeur, c’est-à-dire à chaque étape franchie pour produire un produit et le livrer au client, depuis la conception jusqu’à l’utilisation finale et même au-delà.

 

Les nouvelles technologies et les changements démographiques ont commencé à influer sur ces modes. Les premières, par la multiplication des plateformes numériques qui facilitent la mise en relation de l’offre et de la demande et contribuent au développement fulgurant de la consommation collaborative qui fait prédominer l’usage des biens sur leur propriété. En pratique, les acteurs de cette nouvelle économie du partage sont à la fois des consommateurs et des producteurs. Quant aux changements démographiques, ils consacrent l’émergence d’une nouvelle génération de consommateurs alors que celles des Y (millénariaux) et des Z (ou génération C pour communication, collaboration, connexion et créativité) sont moins axées sur la possession de biens.

Économie circulaire, une alternative à la surconsommation

 

Dans le but de concilier la minimisation des impacts des activités humaines sur la planète et la création de valeur indispensable au développement, le modèle de l’économie circulaire est apparu afin de pousser plus loin le principe des 3R conçu au cours des années 1970 dans le but de promouvoir la réduction de la consommation des ressources, la réutilisation des produits et le recyclage des déchets.

 

En octobre 2016, le Pôle québécois de concertation sur l’économie circulaire a défini ce nouveau modèle comme « un système de production, d’échange et de consommation visant à optimiser l’utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d’un bien ou d’un service, dans une logique circulaire, tout en réduisant l’empreinte environnementale et en contribuant au bien-être des individus et des collectivités ».

 

Cette logique, qui prolonge la durée de vie des produits et améliore le recyclage des déchets, a pour corollaire une préoccupation constante pour l’efficience et la responsabilité de nos décisions et de nos gestes tout au long de la chaîne de valeurs et du processus de consommation.

 

Certains y voient à tort une rétrogression annoncée de l’activité économique, voire la fin de la croissance. Dans l’étude conjointe Économie circulaire au Québec. Opportunités et impacts économiques qu’ils ont publiée en mars 2018, le Conseil du patronat du Québec, le Conseil patronal de l’environnement du Québec et Éco entreprises Québec ont signalé que « la transition vers l’économie circulaire n’est pas synonyme de recul de l’activité économique. Au contraire, les études recensées démontrent qu’en plus de réduire l’impact environnemental, l’économe circulaire a le potentiel d’accroître le nombre d’emplois, de pousser à la hausse le PIB et de favoriser le développement de nouveaux marchés ». Les conclusions de l’étude permettent même d’affirmer qu’elle « dispose d’un fort potentiel entrepreneurial, autant qu’elle peut concourir à des gains de productivité, d’efficacité et de rentabilité, en plus de stimuler la recherche d’innovation ».

 

Contrairement à l’économie linéaire où un peu plus de valeur se perd durant chacune des étapes, des valeurs s’y ajoutent dans l’économie circulaire qui revêt la forme de plusieurs séries de boucles dont la finalité principale consiste à combattre le gaspillage ou la perte de ressources et d’énergie.

 

La Fondation Ellen MacArthur, l’une des plus ardentes promotrices du concept, estime qu’il faudra de 15 à 20 ans pour que le modèle prévale. Aussi, alors que les technologies ne permettent toujours pas d’assurer un recyclage à 100 % et qu’une concertation pleine et entière d’un large éventail d’acteurs (socioéconomiques, financiers, environnementaux et gouvernementaux) s’avère indispensable, il est compréhensible que l’économie circulaire soit considérée par certains comme une utopie.

Il n’empêche que les gouvernements ainsi qu’un très grand nombre d’organisations et d’entreprises de secteurs d’activité variés sont résolument engagés dans plus de             300 initiatives axées sur la transition vers ce modèle qualifié d’« écologiquement, socialement et économiquement durable », compte tenu des perspectives de croissance qu’il allie à une prise en compte intelligente et à une utilisation responsable de l’environnement et des ressources.

Au Québec comme à l’échelle internationale, l’économie circulaire demeure encore embryonnaire, mais elle irradie à vive allure. Ce n’est guère surprenant alors que des experts estiment que chaque dollar (1 $) investi dans l’économie linéaire en rapporte deux (2 $), comparativement à trois (3 $) pour l’économie circulaire, et ce, sans compter son apport en termes d’innovation et d’emplois.

Aussi est-elle considérée à juste titre comme une opportunité d’investissement par ceux qui, dans l’écosystème financier et ailleurs, ont compris qu’il n’y a pas de grande réalisation ni de progrès marquants qui n’aient été d’abord une utopie.