/  19 août 2002

Union monétaire avec les États-Unis : le pour et le contre

La faiblesse marquée et persistante de notre huard irrite les milieux d’affaires, qui avancent l’idée : pourquoi ne pas renoncer à notre devise pour conclure une union monétaire avec nos voisins américains ? Cette solution est loin, cependant, de faire l’unanimité.

Le président du Canadien National, Paul Tellier, a lancé le débat en décembre dernier en affirmant que le Canada en viendra tôt ou tard, d’après lui, à « faire monnaie commune » avec son important partenaire commercial. Puis ce fut au tour du président du conseil d’administration de Bombardier, Laurent Beaudoin, de souligner la pertinence pour le Canada de se pencher sur cette question. Depuis, l’idée circule. Et fait couler beaucoup d’encre.

Selon un récent sondage semestriel mené par le Conseil du patronat du Québec auprès de ses membres, le taux de change constitue le facteur le plus défavorable au développement des entreprises. Pourtant, pour plusieurs d’entre elles, le fléchissement du dollar canadien stimule les exportations. Mais, en revanche, le prix à payer pour acquérir, le plus souvent aux États-Unis, les équipements et les nouvelles technologies nécessaires à un accroissement de la productivité met en péril leur compétitivité. La majorité estime donc que la chute de notre devise représente davantage un inconvénient qu’un levier.

Le dollar canadien : moins attrayant ?

Notre dollar se trouve-t-il en si mauvaise posture ? La plupart des analystes font observer qu’il se comporte bien, et même s’apprécie, face à des monnaies comme l’euro, le yen, la livre et le franc suisse. En réalité, c’est seulement par rapport au billet vert américain que notre devise fait piètre figure. Mais le dollar américain, on le sait, est largement surévalué en raison de l’immense popularité dont il jouit auprès des investisseurs internationaux, qui y voient une solide valeur de refuge. Mais il a ainsi atteint un niveau que les économistes qualifient d’artificiel.

Comment expliquer que le huard offre si peu d’intérêt aux yeux de ces investisseurs alors que les grands indicateurs fondamentaux (taux d’intérêt, productivité, inflation, chômage, état des finances publiques) mettent en évidence la santé de notre économie ? Nombreux sont ceux qui attribuent le discrédit du huard à une mauvaise perception de notre activité économique. S’il est vrai que les matières premières représentaient, il y a 30 ans, plus de 70 % des exportations canadiennes, elles ne comptent aujourd’hui que pour le tiers de ces exportations, les produits manufacturés ayant pris une place déterminante. Mais cette évolution serait toujours ignorée par les investisseurs étrangers, que le déclin du prix des ressources naturelles dissuade de miser sur le dollar canadien. À cela s’ajoute le fait que le fardeau fiscal et l’environnement réglementaire sont beaucoup moins lourds chez nos voisins du Sud, ce qui accentue l’attrait de leur économie.

Conclusion logique

Les partisans d’une union monétaire avec les États-Unis estiment que le taux de change flexible, tel qu’il est en vigueur au Canada, engendre de l’incertitude, à cause justement des fluctuations parfois marquées qu’il suppose. Ils y voient, de plus, une réelle entrave au commerce et au mouvement de capitaux, un obstacle à l’accroissement des échanges inter-frontaliers, sans oublier les mesures que doivent prendre les entreprises pour gérer efficacement l’impact du taux de change sur leurs stratégies et leurs marchés, ni les tracasseries administratives liées à la conversion des devises.

Une monnaie unique nord-américaine rendrait donc les échanges plus équitables et plus fluides. Elle se traduirait par un nivellement des taux d’intérêt et de l’inflation, assurant une meilleure stabilité économique. Enfin, une union monétaire ferait prendre davantage conscience aux entreprises canadiennes de la position qu’elles détiennent sur le marché continental et les conduirait à être plus concurrentielles. Un dollar commun apparaîtrait comme l’aboutissement naturel de l’intégration croissante des économies canadienne et américaine et de la globalisation.

Ces adeptes d’une monnaie unique ne se laissent guère impressionner par la grave crise financière qui secoue l’Argentine. Dans ce cas, notent-ils, le gouvernement avait adossé la valeur du peso à celle du dollar américain, tandis qu’ils prônent la mise en place d’un espace monétaire commun, analogue au modèle européen.

Perte d’identité

Mais voilà, s’exclament les opposants à l’adoption du dollar américain, nous ne vivons pas en Europe ! La création de l’euro découle d’une entente intervenue entre puissances économiques de calibre apparenté, qui ont convenu de respecter tout d’abord différentes conditions, dont la réduction de leur dette et le contrôle de l’inflation. Mais pourquoi les États-Unis s’engageraient-ils dans un pareil processus de négociation avec un partenaire dont l’économie est 12 fois plus petite que la leur ?

Les ardents défenseurs du huard, à commencer par l’ex-ministre des Finances, Paul Martin, rejettent l’hypothèse d’une devise unique nord-américaine parce que cela entraînerait une perte de contrôle de la politique monétaire. La décision de majorer ou d’abaisser les taux d’intérêt serait prise, dès lors, par la Réserve fédérale américaine et il y a peu de chances que soient pris en compte les effets probables sur notre économie. Dans la gestion d’une monnaie commune, les intérêts canadiens risqueraient d’être relégués à l’arrière-plan. Or, chaque mouvement des taux influe sur la consommation et l’investissement.

La disparition du huard, symbole national, amènerait une dilution de notre identité. Car, malgré leurs similitudes, les économies canadienne et américaine ne reposent pas sur les mêmes bases. Pour qu’un pacte monétaire prenne vraiment son sens, il faudrait éliminer les disparités réglementaires, fiscales et budgétaires entre nos deux pays. Du coup, le filet social dont bénéficient les Canadiens pourrait bien se relâcher…