/  18 juin 2007

Le prix du pétrole : demande fondamentale, incertitude et spéculation

On parle beaucoup de l’augmentation de la demande fondamentale de pétrole, en rappelant l’explosion de la demande chinoise et l’épuisement éventuel des ressources pétrolières.

Comment comprendre la montée fulgurante du prix du pétrole au cours des cinq dernières années? Et cette récente tendance, est-elle un bon indicateur pour extrapoler la trajectoire future des prix?

Avant de faire une prévision des prix futurs, il faut remettre en contexte les causes de l’augmentation de la demande, l’incertitude de la déstabilisation du système d’exploitation et d’acheminement du pétrole et la spéculation de la part des investisseurs financiers.

LE JEU DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE

Manque d’exploration et d’investissement durant les années 1990.

À la suite du choc pétrolier de la fin des années 1970, le prix du baril oscillait autour de 40 $. Le prix du pétrole West Texas Intermediate (WTI), un indice pétrolier de référence important, est retombé dans une fourchette de 10 à 30 dollars américains le baril durant la période de 1985 à 2002. Au cours de cette période, l’industrie pétrolière jugeait que les réserves pétrolières et l’infrastructure d’extraction et de raffinage étaient suffisantes pour répondre à la demande anticipée. Le prix de revente du pétrole ne justifiait donc pas de programme d’expansion additionnel important.

Crise asiatique de 1998-1999.

Le graphique ci-contre illustre l’évolution de l’excédent de l’offre de pétrole au-delà de la demande (ligne pleine « Capacité excédentaire de production) par rapport au prix du pétrole ligne pointillée « Prix du pétrole WTI.

En 1998 et 1999, la crise asiatique survient et la demande mondiale de pétrole ralentit par rapport à l’offre. On observe alors un accroissement important de la capacité excédentaire de production de pétrole, ce qui a fait fléchir le prix du pétrole autour de 10 dollars américains pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.

Boom de l’an 2000 et miracle de productivité.

Avec l’accélération économique mondiale qui a suivi l’an 2000 en raison de politiques monétaires expansionnistes et d’un boom d’investissements pour contrer le bogue de l’an 2000 et pour déployer une nouvelle infrastructure informatique, la demande de pétrole a augmenté rapidement, la capacité excédentaire de production de pétrole s’est affaissée et le prix du pétrole a subi une hausse pour atteindre 30 dollars américains.

Récession mondiale en 2001.

Dans le contexte de la récession de 2001-2002, auquel s’ajoutait une montée des incertitudes géopolitiques due à l’attentat terroriste en sol américain, plusieurs économistes prévoyaient un environnement économique difficile pendant une longue période au cours de laquelle les entreprises hésiteraient à investir et à créer des emplois. À leur tour, les consommateurs hésiteraient à dépenser. Le graphique illustre ainsi la vive remontée de la capacité excédentaire de production de pétrole et la chute des prix du pétrole.

Reprise économique fulgurante en 2003.

À la suite des politiques financières et fiscales vigoureuses et concertées, l’économie mondiale a bondi à partir de 2003, et la demande de pétrole a suivi.

Comme l’offre de pétrole n’a pu s’ajuster rapidement (exploration, construction de raffineries, pipelines, etc. étant au ralenti depuis plus d’une décennie), le prix demeure la variable d’ajustement permettant de concilier l’offre et la demande. Il a donc subi une vive ascension.

Nouveaux facteurs d’amplification.

Plusieurs nouveaux facteurs sont venus composer l’effet cyclique de la demande sur le prix du pétrole.

  1. Incertitudes géopolitiques. Une suite d’événements géopolitiques sont survenus pour mettre en doute la capacité d’acheminement de pétrole : l’invasion de l’Irak en 2003, des attentats terroristes sur des pipelines, l’expropriation des activités de production de Yukos en Russie, les pressions politiques internes au Venezuela et au Nigeria, les ouragans aux États-Unis, la menace de rivalités à la suite du programme nucléaire iranien, etc. Tous ces éléments font craindre un risque d’interruption dans l’approvisionnement en pétrole. Et parce qu’il est difficile d’interrompre les activités de production d’une raffinerie de pétrole à cause des risques de bris mécaniques, les raffineries se sont mises à se constituer des réserves de pétrole brut afin d’éviter une pénurie éventuelle.
  2. La Chine : On parle beaucoup de l’émergence de la Chine sur le plan économique mondiale et de l’augmentation rapide de sa consommation de pétrole en raison de la modernisation de son économie. Il faut cependant préciser que ce développement à long terme ne saurait expliquer à lui seul l’explosion de la demande chinoise à court terme.Le processus mondial de sous-traitance internationale (offshoring), où la capacité de production manufacturière mondiale est progressivement relocalisée dans les pays où les coûts de production sont inférieurs, y est aussi pour quelque chose. Ainsi, au cours des quelques dernières années, la chine a augmenté ses dépenses en capital à un rythme annuel effréné de plus de 30 % en 2003 et 2004, et à près de 25 % en 2005 et 2006 dans le but de s’outiller suffisamment (usines, infrastructure urbaine, de transport, etc.), afin de subvenir à la demande mondiale. Cette situation a créé une demande-choc pour l’acier, le béton, le cuivre, la machinerie lourde, les services de transports maritimes et le pétrole.Ce soubresaut de demande chinoise pour le pétrole ne reflète donc pas seulement l’accroissement de la demande domestique, mais aussi beaucoup la relocalisation en cours de la plateforme de production manufacturière mondiale.
  3. Investisseurs financiers. Observant l’appréciation du pétrole et des denrées en général et projetant un accroissement de la demande de pétrole et de l’incertitude géopolitique, les spéculateurs sont entrés en force et ont établi des positions record dans les marchés à terme du pétrole. Ces derniers sont habituellement dominés par les acheteurs et vendeurs industriels. Cette nouvelle source de demande de pétrole a été suivie par des investisseurs institutionnels, tels les caisses de retraite, qui ensemble ont injecté des milliards de dollars pour établir des positions à long terme dans des fonds de denrées.Le prix du pétrole reflète donc aujourd’hui aussi un élan d’enthousiasme ayant son origine dans des positions spéculatives importantes et dans un rajustement récent de portefeuille.

Pour revenir au graphique précédent, on peut donc expliquer pourquoi la capacité excédentaire de production de pétrole est demeurée si dangereusement basse entre les années 2003 et 2006, et pourquoi le prix du pétrole a connu une progression, pour ainsi dire, unidirectionnelle.

À mi-cycle en 2007.

Aujourd’hui, on commence à observer les conséquences d’une période prolongée de prix de pétrole élevés : pleine utilisation de la capacité de production, accélération des activités d’exploration et de construction d’usines de raffinage, rentabilité des projets où l’extraction est plus coûteuse (sables bitumineux canadiens), utilisation de l’éthanol, subventions pour les véhicules hybrides, réduction de l’utilisation des véhicules par certains usagers, rétablissement de la production iraquienne et modération du rythme de croissance économique global à la suite dubond fulgurant de la relance économique.

On remarque ainsi sur le graphique qu’au cours des douze derniers mois, il y a une augmentation marquée de la capacité excédentaire de production de pétrole. Même les inventaires de pétrole augmentent substantiellement tout au long de la chaîne de distribution. Assistons-nous présentement à une montée vers un sommet du prix du pétrole?

La conclusion semble assez claire. En effet, l’augmentation du prix du pétrole depuis 2003 est principalement due à la reprise économique mondiale. Cette montée du prix a profité d’une prime d’incertitude géopolitique qui tarde à s’atténuer et d’une prime spéculative de la part d’investisseurs financiers.

Sous un scénario d’une modération de l’économie mondiale à mi-cycle par rapport au rythme effréné des années précédentes, le prix du pétrole pourrait ainsi demeuré essentiellement stable au cours des cinq prochaines années, tandis que l’accroissement continu de la demande fondamentale remplacera progressivement la dissipation des primes d’incertitude et de spéculation.

Par contre, dans un scénario de ralentissement économique mondial important, on doit s’attendre à une correction majeure du prix du pétrole, car la pression de vente des positions des investisseurs financiers sur le prix du pétrole s’ajouterait à la réduction de la demande.

Le prix du pétrole reflète aujourd’hui l’ensemble des incertitudes et de la spéculation. Pour que le prix du pétrole puisse continuer d’augmenter, il ne faut pas simplement un maintien de l’environnement politico économique, mais de nouvelles sources de demande ou de nouvelles sources d’incertitude.