/  30 septembre 2011

L’été de la grande frousse

L’été qui vient de prendre fin aura été une source de grande inquiétude pour les investisseurs qui supportent difficilement les trop fortes fluctuations des marchés, surtout lorsque celles-ci semblent vouloir n’emprunter qu’une seule direction, en l’occurrence celle du bas. La saison estivale, qui s’annonçait ensoleillée et réparatrice, a été tout sauf reposante pour les investisseurs qui ont souffert de la même incertitude qui a contaminé et fait sombrer l’ensemble des marchés de la planète.

La Bourse canadienne avait pourtant amorcé l’année de belle façon, en poursuivant sur sa lancée haussière des deux dernières années. Elle a cependant commencé à manifester des signes de faiblesse au printemps. Après avoir atteint un sommet à 14 270 points en avril, l’indice TSX de la Bourse de Toronto s’est soudainement mis à reculer à la suite de plusieurs événements perturbants et de nouvelles négatives.

Il y a d’abord eu le terrible tsunami qui a foudroyé le Japon le 11 mars dernier. Ce raz-de-marée a paralysé sérieusement les activités de la troisième puissance économique mondiale. Celle-ci étant aussi un partenaire commercial et économique majeur des États-Unis, l’activité économique de nos voisins du sud a été affectée du même coup. Dès lors, les experts ont évoqué un possible ralentissement printanier de la laborieuse reprise américaine. Cette éventualité a évidemment eu un impact au Canada, les États-Unis demeurant notre principal partenaire et client commercial.

Outre ces perspectives négatives, il faut se rappeler que le monde entier est aussi devenu le témoin d’un mouvement de libération politique sans précédent dans certains pays du monde arabe.

Un contexte géoéconomique trouble

Après la Tunisie qui s’est rapidement — et somme toute assez pacifiquement — libérée de son dictateur Ben Ali, le Printemps arabe s’est rapidement propagé à d’autres pays de la région. Les populations de l’Égypte, du Bahreïn, du Yémen, de la Libye et de la Syrie, se sont aussi liguées contre leurs dirigeants, provoquant du même coup beaucoup d’incertitude et d’insécurité dans une région stratégique pour le bon fonctionnement de l’économie mondiale, en raison des réserves importantes de pétrole qui s’y trouvent.

Pour couronner le tout, c’est à la fin du printemps dernier que la Grèce s’est de nouveau retrouvée au centre de l’actualité économique mondiale, alors qu’elle devait renégocier un nouvel emprunt important pour financer ses opérations courantes et, par le fait même, assurer sa survie.

En mai 2010, la République hellénique avait réussi à obtenir un financement intérimaire de 110 milliards d’euros auprès des pays membres de la zone euro, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI). Cette année, elle a eu besoin d’un financement équivalant à celui de l’année précédente (mai 2010). À défaut d’un tel sauvetage budgétaire, elle se serait retrouvée complètement à sec en septembre, c’est-à-dire sans la trésorerie minimale requise pour pouvoir payer ses fonctionnaires et faire face à ses créanciers.

Les pays membres de la zone euro étant tout un chacun aux prises avec une situation budgétaire extrêmement sensible, leurs dirigeants voulaient à tout prix trouver une solution qui limiterait leur exposition au risque, si jamais la crise de la dette grecque, dont l’acuité n’a d’égale que l’urgence de la régler, devait déboucher de nouveau sur une situation de défaut de paiement.

Cette solution était d’autant plus impérative que plusieurs pays européens, notamment l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande, ont des profils financiers semblables à celui de la Grèce. Ils font face eux aussi à des déficits budgétaires insoutenables qui ne font que gonfler des dettes publiques colossales. Il fallait certes sauver la Grèce, mais il fallait aussi éviter que l’Europe ne sombre dans l’anarchie financière la plus totale.

Une situation explosive

Les négociations entre les autorités financières européennes, en vue de convenir d’un plan de sauvetage financier de la Grèce, ont largement dominé l’actualité économique tout au long du mois de juillet. Les gouvernements des pays de la zone euro voulaient impliquer les grandes banques commerciales dans ce plan et endiguer les risques de contagion de la crise financière grecque aux autres pays européens vulnérables.

Finalement, à la suite d’un marathon de négociations entre la France et l’Allemagne, les dirigeants de la zone euro ont annoncé, le 22 juillet, la conclusion d’un plan de sauvetage de 109 milliards d’euros pour la Grèce ainsi que la création du Fonds européen de stabilité financière dont le rôle sera de prévenir et de gérer les prochaines crises de dettes souveraines des pays membres de la zone.

Il n’empêche que, tout au long du mois de juillet, le comportement des marchés boursiers a été affecté par cette nouvelle illustration du dysfonctionnement de nombreux pays européens qui peinent à se relever de la crise financière et économique de 2008-2009.

Si le jour de l’annonce de la conclusion du plan de sauvetage financier de la Grèce méritait d’être célébré dignement par la communauté financière internationale, il a été malheureusement assombri par un discours du président des États-Unis. Barack Obama était en effet furieux que le leader républicain de la Chambre des représentants, John Boehner, ait quitté de façon cavalière la table des négociations sur le déplafonnement de la dette publique américaine qui était sur le point d’atteindre le seuil limite des 13 500 milliards de dollars.

Si le Congrès américain, dominé par des élus républicains hostiles au président démocrate, n’acceptait pas que le gouvernement central s’endette au-delà du plafond convenu (13,5 G$ US), tout l’appareil étatique risquait d’être paralysé. Compte tenu d’une possible incapacité du gouvernement américain à emprunter pour payer ses fonctionnaires, ses militaires disséminés partout dans le monde, son propre système de santé publique, ses professeurs, etc., un immense chaos menaçait le plus puissant et le plus « riche » pays de l’univers. Cette crise budgétaire américaine était d’abord et avant tout idéologique, car les républicains s’opposent à toute hausse d’impôt (même pour les milliardaires) et réclament l’abolition de nombreuses dépenses sociales.  Elle a d’ailleurs littéralement plombé les marchés boursiers de la fin de juillet jusqu’au début d’août. Finalement, le jour de la date butoir (2 août), un accord bipartite sur le déplafonnement de la dette américaine a été adopté. Malheureusement, c’était trop peu trop tard.

Le psychodrame du surendettement des États-Unis a mis en lumière plusieurs lacunes qui minent la première puissance économique mondiale. Le 5 août, après la fermeture des marchés, la firme de notation de crédit Standard & Poors annonçait qu’elle venait de retirer à l’État fédéral sa note de crédit parfaite (AAA). Cette décote humiliante ne laissait présager rien de bon lors de l’ouverture des marchés boursiers et financiers, le 8 août.

De fait, les marchés ont réagi violemment pendant toute la semaine, la volatilité étant alors à son comble. La solvabilité des États-Unis était remise en question et les risques que le pays ne retombe en récession n’allaient qu’en grandissant.

Après que l’activité manufacturière se soit contractée en juillet, les dépenses à la consommation ont fait de même. L’activité immobilière demeurait anémique et le marché de l’emploi s’avérait incapable d’absorber ne serait-ce qu’une infime partie des 14 millions de chômeurs officiels.

Des marchés qui écopent durement

Il est facile de comprendre qu’un tel contexte hautement anxiogène ait généré beaucoup d’incertitude sur les marchés financiers. Après avoir affiché des rendements de 100 % de mars 2009 à avril 2011, les grands indices boursiers américains ont perdu 20 % de leur valeur entre avril et août 2011.

De son côté, l’indice canadien TSX, qui avait enregistré des gains de 91 % au cours des deux dernières années, avait perdu au 30 septembre 18,5 % de sa valeur en regard de son sommet d’avril. Les marchés nord-américains, tout comme ceux d’Europe et d’Asie, sont officiellement entrés dans une tendance baissière, ayant tous cumulé des pertes de plus de 20 % sur une période continue.

Bien que les marchés boursiers abhorrent l’incertitude, c’est malheureusement la seule chose qui les a alimentés tout au long de l’été. Pour mesurer l’extrême volatilité qui régnait alors, il suffit de se rappeler que l’indice Dow Jones a réalisé un record pendant la semaine du 15 au 19 août, alors qu’il a gagné ou perdu quotidiennement plus de 400 points au cours de quatre (4) séances consécutives. Cette même semaine était également la dernière de quatre successives durant lesquelles l’indice S&P 500 a terminé en baisse. Il s’agissait de la plus longue séquence de correction à la baisse jamais enregistrée par la bourse américaine depuis 1950.

Bref, l’été 2011 en est un à oublier. Souhaitons maintenant que les efforts de plus en plus concertés des divers gouvernements, Banques centrales et autres autorités financières de partout à travers le monde, puissent faire effet et ramener une certaine stabilité au cours des prochains mois.