/  02 juillet 2013

Le transfert d’une police d’assurance vie à une société par actions

De nombreux médecins ont décidé, ces dernières années, de créer une compagnie (bref de s’incorporer) de façon à pouvoir profiter de certains avantages fiscaux, dont les plus évoqués sont le report potentiel d’impôts et le fractionnement des revenus imposables. Il sera parfois possible de tirer profit d’autres avantages. Le transfert d’une police d’assurance vie détenue de longue date par le médecin vers sa société par actions constitue potentiellement un de ces avantages. Vous noterez que tous les montants présentés ci-après ne sont que des exemples.

Les intervenants d’une police d’assurance vie

Outre l’assureur, une police d’assurance vie comporte trois autres intervenants :

  • propriétaire (ou titulaire), qui détient le contrat, désigne le ou les bénéficiaires et paie les primes;
  • personne assurée, dont le décès provoquera le paiement de la prestation;
  • bénéficiaires, qui recevront, à la suite du décès, la prestation d’assurance.

Dans un contrat d’assurance souscrit par un particulier, le propriétaire est habituellement aussi la personne assurée. Le transfert dont il est question ici signifiera que le propriétaire et le bénéficiaire deviendront la société par actions. La personne assurée demeurera le médecin.

L’avantage du paiement des primes futures

Le premier avantage du transfert est le fait que les primes futures d’assurance seront dorénavant payées par la SPA et non plus par le médecin directement. Ces primes ne représenteront habituellement pas une dépense déductible pour la société par actions, mais comme elles seront payées par cette dernière, elles  coûteront, sommes toutes, moins cher au médecin. Par exemple, pour un médecin dont le taux marginal d’imposition sera de 49,97 % en 2013 (plutôt que 48,22 % en 2012), une prime annuelle de 1 500 $ coûtera 2 998 $ du revenu brut. Pour une société, dont le taux d’imposition est de 19 %, le paiement de la même prime annuelle de 1 500 $ nécessite un revenu brut de 1 852$, soit une économie annuelle de 1 146 $ pour le médecin qui gère cette société.

Sortie de sommes de la SPA avec peu ou pas d’impôts

Au-delà de l’avantage précité, le transfert de la police d’assurance vie à la SPA pourrait se traduire par une sortie de sommes de la société par actions très peu ou pas du tout imposées. Le traitement fiscal de l’assurance-vie s’avère relativement complexe. Il s’agit ici d’utiliser le fait que la Loi de l’impôt sur le revenu considère que lorsqu’une police d’assurance vie est transférée par le propriétaire (le titulaire) à une SPA qu’il contrôle, c’est la valeur de rachat du contrat qui constituera le produit de disposition et non sa juste valeur marchande. Par exemple, si un médecin détient une assurance-vie entière aux caractéristiques suivantes :

  • couverture d’assurance vie : 200 000 $
  • valeur de rachat : 13 000 $
  • juste valeur marchande : 50 000 $
  • coût de base rajusté : 8 000 $

Si ce médecin transfère cette police à sa société par actions, cette dernière lui paiera la juste valeur marchande. Il pourrait donc recevoir 50 000 $ de sa société. Aux fins fiscales, seule la différence entre la valeur de rachat (dans l’exemple : 13 000 $) et le coût de base rajusté (dans l’exemple : 8 000 $) deviendra un revenu imposable pour le médecin. Ce médecin paiera donc de l’impôt sur 5 000 $. Au taux d’impôt marginal maximal de 2013 (49,97 %), une facture fiscale de 2 498 $ sera à prévoir sur un revenu global de 50 000 $.

Juste valeur marchande et coût de base rajusté

L’exemple précédent illustre bien l’importance de ces deux concepts. La juste valeur marchande d’une police représente essentiellement le prix auquel on pourrait vendre cette police à un étranger. Pour établir cette valeur, on évaluera notamment la valeur escomptée de la prestation de décès et la valeur actualisée de la différence de primes entre le contrat déjà existant et un nouveau contrat identique souscrit à l’âge actuel du médecin. Imaginons que la police de l’exemple précédent a été souscrite par le médecin à l’âge de 35 ans et que la prime annuelle nivelée est de 1 500 $. Si ce même médecin décidait de souscrire aujourd’hui, à l’âge de 50 ans, une nouvelle couverture identique à la première, il est probable que sa prime annuelle serait d’environ 3 500 $ puisqu’il a maintenant 15 ans de plus. La juste valeur marchande établit la valeur du contrat original en comparaison d’un nouveau contrat. Seul un actuaire peut certifier une telle valeur (avec les coûts que cela comporte).

Le coût de base rajusté représente essentiellement une sorte de « valeur comptable » de la police d’assurance vie. Il augmente habituellement durant les premières années d’une police pour atteindre un plafond et ensuite diminuer.

Après la transaction

À la suite du transfert, la société par actions devient propriétaire et bénéficiaire de la police. Il est d’ailleurs impératif d’apporter ces changements au contrat. Au moment du décès de l’assuré (le médecin), la prestation de décès est donc payable à la société. Est-ce qu’il y a perte? Rappelons que la prestation d’assurance vie originale, n’eut été du transfert, aurait été versée au bénéficiaire à l’abri de l’impôt.

Au décès du médecin, la prestation de décès qui excède le coût de base rajusté pourra être versée libre d’impôt aux actionnaires, par l’intermédiaire du compte de dividendes en capital.  La portion de la prestation égale au coût de base rajusté pourra être versée aux actionnaires par un dividende imposable. Imaginons, en reprenant l’exemple précédent, que le décès du médecin survienne quelques années après le transfert et que le coût de base rajusté (qui tend à diminuer lorsque la personne vieillit) est maintenant égal à 6 000 $. De la prestation de décès de 200 000 $ versée à la société par actions, 194 000 $ pourront être retournés aux  actionnaires sans impôt, mais 6 000 $ seront considérés comme un dividende imposable.

Certaines réserves

Il est fort probable qu’à la lecture de cette chronique, beaucoup de médecins soient très tentés de faire analyser la pertinence d’effectuer de tels transferts. Il existe toutefois certaines réserves.

Des frais importants seront à prévoir (actuaire, juriste ou fiscaliste), de sorte que le transfert de contrats d’assurance plus modestes est habituellement moins attrayant. Aussi, bien qu’il soit possible de transférer des contrats d’assurance vie temporaires, la juste valeur marchande plus faible de ces derniers rend aussi fréquemment le transfert moins attrayant. Il serait toutefois possible, dans ces deux cas, de transférer la police sans contrepartie (donc sans avoir à la faire évaluer) dans le seul but de faire payer les primes subséquentes directement par la société par actions.

Par ailleurs, le fait que la société par actions détienne dorénavant la police peut rendre la fermeture ou la vente de cette société  plus complexe et onéreuse. Dans de tels cas, si on veut garder la police, on devra la retransférer de la société au médecin, ce qui aura des conséquences fiscales. Il apparaît donc fréquemment moins intéressant de transférer une police dans une société qu’on prévoit fermer à plus ou moins courte échéance (moins de cinq ans).

Il sera également  pertinent de réviser la planification successorale du médecin. Par exemple, est-ce que les actionnaires qui recevront éventuellement ce capital-décès sont les bénéficiaires originaux de la police ? Dans la négative, il faudrait peut-être revoir le testament?

Enfin, on ne soulignera jamais trop l’importance d’effectuer ce transfert dans le respect de toutes les règles avec des documents juridiques adéquats à l’appui.

Conclusion

Le transfert d’une police d’assurance à une société par actions pourra s’avérer fort profitable, mais les coûts et sa pertinence devront d’abord être évalués.