/  03 mars 2011

Conséquences fiscales du décès d’un médecin ayant incorporé sa pratique médicale

Chaque situation est unique et nécessite une analyse distincte. Nous vous présentons ci-dessous les règles d’application générale.

 

La Docteure Lavigueur, un médecin de famille ayant incorporé sa pratique (Dre Lavigueur inc.) il y a quelques années, est décédée récemment. Comme elle n’avait pas besoin de tous les revenus gagnés par la société Dre Lavigueur inc. pour maintenir son niveau de vie, les états financiers de sa société indiquent un solde d’épargne et de placements d’une valeur de 400 000 $ en date du décès.

La Docteure Lavigueur était l’unique actionnaire ordinaire de la société qui n’a émis que 100 actions ordinaires, à un coût de 1 $ chacune, au moment de sa création. Son conjoint et ses deux enfants majeurs détiennent, quant à eux, des actions privilégiées de la société.

On se demande maintenant quelle sera l’incidence du décès de la Docteure Lavigueur sur les actions qu’elle détenait dans sa société. D’abord, il faut souligner que l’accroissement de la valeur d’une société ne se reflète que sur les actions ordinaires tandis, les actions privilégiées étant rachetables au même prix que celui auquel elles ont été émises.

En fait, la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit une disposition présumée à la juste valeur marchande de tous les actifs d’un contribuable l’instant avant son décès. L’impôt sur les actions ordinaires sera donc calculé en fonction de leur valeur marchande au moment du décès, soit 199 950 $ :

Produit de disposition (juste valeur marchande des actions) :    400 000 $

Moins le coût des actions :                                                                100 $

Gain en capital :                                                                         399 900 $

Gain en capital imposable (50 % de 399 900 $) :                      199 950 $

Ce gain en capital imposable de 199 950 $ s’ajoute aux autres revenus gagnés de la Docteure Lavigueur dans l’année de son décès.

Une fois ce constat fait, existe-t-il des façons d’éviter ou de diminuer un tel fardeau fiscal?

La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit une déduction pour gain en capital de 750 000 $ pour un contribuable qui dispose (de façon réelle ou présumée) de ses actions admissibles de petite entreprise. Or, avant que le contribuable puisse utiliser cette déduction, il doit s’assurer d’en respecter tous les critères, dont celui spécifiant que la société doit avoir moins de 10% de la juste valeur marchande de ses actifs en placement. Malheureusement, dans le cas de Dre Lavigueur inc., les placements représentent la quasi-totalité des actifs, ce qui veut dire qu’il sera impossible d’utiliser cette déduction fiscale.

Les intentions exprimées par la Docteure Lavigueur dans son testament doivent maintenant être connues pour la suite, car elles pourront influer sur le traitement fiscal immédiat. Dans le premier scénario que nous étudierons, la Docteure Lavigueur lègue tous ses actifs à son conjoint survivant et, dans le second, elle lègue tous ses actifs en parts égales à ses deux enfants majeurs puisque son conjoint l’a prédécédée.

Dans le premier scénario, comme Monsieur hérite de tous les actifs, dont les actions de Dre Lavigueur inc, un choix fiscal (le roulement) permettra de transférer les actifs à Monsieur au coût plutôt qu’à la juste valeur marchande. Ce choix fiscal est très intéressant, car il permet de reporter l’impôt à payer sur le gain en capital déclenché par la disposition présumée. C’est donc quand Monsieur retirera des sommes de Dre Lavigueur inc. (qui sera devenue une société de gestion) ou au plus tard au moment de son décès, que des impôts devront être payés. Il est important de spécifier que le roulement fiscal serait possible même si la Docteure Lavigueur avait prévu la création d’une fiducie testamentaire en faveur de Monsieur..

Toutefois, le liquidateur de la succession de la Docteure Lavigueur devra s’assurer d’avoir utilisé tous les attributs fiscaux de la Docteure Lavigueur avant de choisir le roulement fiscal. Les soldes de pertes à reporter, l’impôt minimal de remplacement à récupérer, les droits de cotisation à un REER inutilisés, etc. peuvent être utilisés pour la dernière fois dans l’année du décès pour réduire les impôts à payer, à défaut de quoi ils ne sont pas transférables au conjoint survivant ni à toute autre personne. C’est donc dire que le roulement parfait n’est pas toujours nécessaire pour éviter les impôts à payer et qu’un roulement partiel (bien par bien) est possible.

Dans le second scénario, les deux enfants héritent de tous les actifs en parts égales. Le roulement fiscal n’est pas possible car la Loi de l’impôt sur le revenu ne le permet qu’en faveur du conjoint survivant ou d’une fiducie testamentaire en sa faveur. Il n’y a donc aucune façon d’éviter de payer de l’impôt sur la disposition présumée des actions de la société de leur mère.

Le liquidateur de la succession de la Docteure Lavigueur devra être très prudent afin d’éviter une double imposition. La liquidation de la société Dre Lavigueur inc. entrainera un dividende imposable, d’où la double imposition puisque la disposition présumée de ces actions a déjà déclenché un gain en capital pour la Docteure Lavigueur. Toutefois, des techniques fiscales permettent d’éviter cette double imposition et de revenir à la simple imposition, mais elles comportent des critères, dont un de temps, voulant que la liquidation de la société Dre Lavigueur inc. soit faite dans les douze mois du décès.

La rédaction du testament de la Docteure Lavigueur pourrait permettre au liquidateur d’éviter la double imposition. En effet, supposons que la Docteure Lavigueur lègue les actions de sa société à son fils et le réste de sa succession d’égale valeur à sa fille. Elle a donc prévu le legs particulier de ses actions de sa société à son fils, ce qui signifie que le liquidateur ne pourra liquider la société afin d’éviter la double imposition, car il devra remettre les dites actions au fils qui ne pourra utiliser les techniques fiscales pour s’y soustraire. Pour éviter cet effet fâcheux, il aurait fallu, avant le décès de la Docteure Lavigueur, modifier le testament de façon à exclure les actions de la société pour qu’elles ne fassent pas partie d’un legs particulier. Ainsi, si la Docteure Lavigueur tenait à ce que son fils obtienne les actions, elle aurait dû prévoir un legs particulier des actifs destinés à sa fille et le réste de sa succession à son fils (sachant que les actions de la société en faisaient partie). De cette façon, le liquidateur aurait eu la possibilité d’éviter la double imposition.

En conclusion, le recours à un fiscaliste est des plus importants pour les médecins ayant choisi d’incorporer leur pratique, tant au moment de la planification testamentaire que du règlement de leur succession afin que le fardeau fiscal associé à leur société soit réduit au minimum.